CHAPITRE ONZE

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PARTIE 2 : LA GRANDE VILLE

Créa remua nerveusement dans son canapé-lit, dont les draps épais la faisaient transpirer. La fenêtre grande ouverte, elle entendait cette nouvelle ville se réveiller et se laisser bercer par le flux des travailleurs matinaux. Le vent encore chaud des effluves de l'été caressa délicatement ses jambes dénudées, la décidant enfin à se lever.

Son minuscule appartement lui permettait de se maquiller tout en préparant son petit déjeuner. Le toasteur sonna lorsqu'elle eut fini d'appliquer son mascara. Les jambes étalées sur sa chaise de jardin, elle sirotait son café tandis que sa cigarette fumait encore dans le cendrier. Une odeur de viande grillée provenant du restaurant chinois en bas vint lui chatouiller les narines. Elle huma l'air parfumé sans pouvoir ignorer l'angoisse qui compressait sa poitrine.

Ses jambes nues baignaient dans l'eau stagnante de la baignoire. La température commençait à se refroidir. D'un geste rapide, elle remplaça le silence par une douce musique de rock. Elle s'ennuyait dans cet espace trop vide. Seuls les vieux meubles de son ancienne chambre semblaient porter une étincelle de vie en leur bois blanchi. Une fois séchée, sa chevelure brune relevée en une couette et son sac sur l'épaule, elle referma la porte de son appartement, s'engouffrant dans les ruelles de son quartier.

Le soleil se reflétait sur les parois en verre des grands bâtiments carrés qui se tenaient devant elle. Son cœur ne cessait de tambouriner trop fort dans sa poitrine et elle se détestait de s'être levée ce matin. Même la nicotine ne calmait pas son trouble.

L'amphithéâtre était déjà rempli d'étudiants lorsqu'elle y pénétra, après avoir écrasé son mégot jauni sur le béton. Seules quelques places en début d'allée étaient libres. Elle s'installa à l'une d'elles, frôlant le sac d'une fille.

« Salut », s'exclama Créa, affichant un sourire forcé.

Toute la rangée se retourna vers elle, la détaillant de haut en bas. Un son strident de micro s'éleva des enceintes dispersées aux quatre coins de la salle, faisant grimacer les jeunes gens qui observaient, à présent, le petit bonhomme chauve qui se tenait sur l'estrade.

« Bienvenue à tous les premières années, commença-t-il pour son discours de rentrée.

— Excuse-moi, mais j'aimerais bien écouter », lui intima la fille à laquelle Créa s'était adressée.

**

Créa n'était pas sûre d'avoir tout compris, lorsqu'elle s'engouffra à nouveau dans la masse étudiante pour sortir de la salle de cours. Elle vit sa voisine de banc lui passer devant, accompagnées de deux autres étudiantes qui rigolaient aux éclats. La petite troupe se dirigeait joyeusement vers le self, ne laissant rien paraître du stress des premiers jours.

Créa soupira. Elle enviait leur aisance à s'adapter si vite à ce nouvel environnement.

Le mois de septembre ne l'épargnait guère non plus de sa chaleur, créant quelques traces humides sous son t-shirt. Ou serait-ce le stress qui trempait ses habits ? Vient s'y ajouter la flamme de son briquet, qui jaillit devant son nez, brûlant presque son duvet. 

« Je peux emprunter ton feu ? »

Une voix grave avait détonné dans son dos, tandis qu'un visage légèrement familier se dessinait à ses côtés.

Le petit objet rouge passa d'une main à l'autre laissant derrière lui s'échapper de petites nuées ardentes.

« Merci », s'exclama-t-il après avoir allumé sa Philip Morris.

Il ne s'éloigna pas pour autant. Les effluves odorantes de leur fumée se mélangèrent et un nuage de tabac se dégagea de leur silhouette.

« Tu es une amie de Lutine, je me trompe ? demanda-t-il pour briser le silence soudainement répandu, lorsque la horde d'étudiants se dispersa à la sortie de l'amphithéâtre.

— Effectivement. »

Derrière ses cheveux sombres retombant négligemment sur ses sourcils, il sourit, avant de tendre une main assurée à la jeune fille.

« Grégoire, se présenta-t-il.

— Créa », répondit-elle, en reconnaissant enfin l'ancien copain de Lutine, qu'elle avait croisé durant une soirée en première.

Elle s'avança pour agripper sa poignée de main, mais fut arrêtée dans son élan par une sonnerie de téléphone, s'élevant des tréfonds de son sac à moitié vide. Elle se détourna de sa nouvelle rencontre, s'excusant d'un regard gêné. Ses longs cheveux volèrent dans le vent lorsqu'elle s'éloigna puis, décrocha.

« Maman ? »

La femme au bout du fil trépignait d'impatience d'entendre la narration des nouvelles aventures de sa fille. Le moindre détail l'intéressait et elle s'imaginait déjà les nouvelles têtes qui allaient border la vie de sa douce progéniture.

« C'est pas vraiment le moment maintenant », se plaignit Créa, embarrassée.

Pas assez éloignée du garçon, elle entendit les pas de Grégoire se rapprocher. Il effleura sa manche alors qu'elle lui tournait le dos pour se concentrer sur la voix surexcitée qui la suppliait de répondre à quelques questions.

« Tu as fait tomber ça », la coupa-t-il alors qu'elle essayait de ne pas faire paraître son malaise dans ses réponses.

De sa main libre, qui ne tenait pas sa cigarette, il lui tendait une petite photographie aux couleurs sombres qui laissait apparaître deux visages souriants. Dans le fond, on pouvait reconnaître la jointure rouge de la décapotable et assis sur l'un des sièges un visage familier se distinguait.

« Merci.

— À qui appartient cette voix, Créa ? Un nouvel ami ?

— Je te raconte tout dès que je suis rentrée. Promis, maman. Je te rappelle. »

Elle fourra rapidement son téléphone dans la poche de son jean, prit la photo, et s'apprêtait à s'enfuir de nouveau lorsqu'encore la voix de Grégoire la coupa dans son élan.

« C'est ton petit ami ? »

La question ne se posait pas. Elle n'en connaissait même pas la réponse. Elle voulait juste déguerpir et oublier cet endroit où les gens se bousculaient et se marchaient dessus sans même se rendre compte de la présence des autres. Même si Grégoire semblait gentil et bienveillant, elle ne voulait pas rester plus longtemps, surtout sans y être contrainte par les cours.

« Non », finit-elle par répondre.

Elle s'était retournée, mais au lieu de plonger son regard dans le sien, elle fixait les chaussures du garçon. Ce dernier sourit en bougeant automatiquement ses pieds, comme pour les cacher. Il portait une paire de bottines noires, parsemées d'une fermeture éclair et de boucles métalliques.

« Elles sont cools. »

Grégoire parut amusé.

« Dis, je vais à une soirée ce soir », commença-t-il.

La grimace de Créa le prit de court et son rire explosa. Il était mélodieux et à la fois rauque. Ses yeux s'étaient plissés et son sourire fit apparaître un piercing smiley composé de deux petites boules en argent sous sa lèvre supérieure.

« Tu n'es pas trop soirée, c'est ça ? »

Elle acquiesça. L'invitation la touchait beaucoup, mais elle ne se sentait pas encore prête pour les soirées. Alors d'un geste de la main, il fit signe qu'il n'insisterait pas.

« C'est dans la rue Monte-Carlo, au cas où tu changerais d'avis », dit-il en s'éloignant doucement.


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant