CHAPITRE TRENTE NEUF

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« Tu viendras ? s'enquit Octave d'une voix anxieuse. J'aimerais que tu sois à mes côtés pour leur annoncer.

— Je te retrouverais après mon rendez-vous. Je ne peux pas le rater.

— C'est quoi déjà ? la questionna-t-il au bout du fil.

— Rien d'important. On se rejoint chez tes parents ? »

Il lui indiqua un horaire dans l'après-midi, puis lui souhaita bonne nuit. Il n'arriverait pas à dormir. Créa le savait. Elle le rappela.

« Oui ? décrocha-t-il.

— Tu veux t'entraîner sur moi ? »

Son rire explosa dans le combiné. Il se racla la gorge puis déclara :

« Papa, maman, je suis gay. »

**

Créa s'assît sur le même siège que la dernière fois où elle avait arpenté ces couloirs. Au mois de décembre, ils avaient discuté principalement d'elle-même avec le docteur James. Aujourd'hui, elle venait pour Judi.

L'attente en devenait insupportable. Elle désirait comprendre, mais à la fois, elle craignait que cela change sa vision du garçon. Elle tenta de se remémorer Judi tel qu'elle l'avait connue. Cet adolescent chétif qu'elle avait cueilli au bord de la route, ce garçon un peu étrange qui l'avait fait camper dans un garage. L'énigme Judi s'apprêtait à tomber et elle aurait aimé que le mystère dure un peu plus longtemps. Elle était comme ça, Créa. Elle se rendait compte des choses qui lui échappait trop tard. Comme pour ses années lycées.

Le psychiatre l'invita à entrer dans son bureau lorsque le patient précédent en sortit.

« Judi a accepté que je vous parle, commença-t-il. Je vais essayer d'employer des mots simples.

— Allez-y franchement », abrégea Créa.

Elle frotta ses mains moites sur son jean. Les pulsations de son cœur s'affolaient dans sa poitrine.

« Judi a un ami imaginaire, Sanders, inspiré d'un personnage de cartoons. Il m'en parle à chaque rendez-vous, mais n'a toujours pas réalisé que ce garçon n'a jamais existé. Exactement comme ses harceleurs de l'école élémentaire qu'il a inventés pour justifier la disparition de son argent de poche. C'est à cette époque que nous avons détecté des symptômes du secte schizophrénique chez Judi. Ses épisodes paranoïaques étaient fréquents alors, se remémora-t-il. Les répercussions sur son corps déterminent généralement leur intensité. Vous avez d'ailleurs assisté au dernier en date, si je ne me trompe pas.

— Avec les fourmis.

— Les fourmis, acquiesça-t-il en marquant une pause. Tenez, regardez ».

Il sortit une feuille volante d'un dossier au nom de Jordan sur son bureau. C'était un dessin, un dessin d'enfant.

« J'ai demandé à Judi de représenter ses émotions en image la première fois qu'il est venu me voir. Vous voyez ces silhouettes ? »

En effet, la jeune fille discernait dans la multitude de traits épais deux grands corps longilignes. Un semblait davantage foncé. Le crayon devait avoir appuyé plus fort à cet endroit.

« C'est Andréa, expliqua le psychiatre. Sa seule amie, en dehors de Jean et Seb, qu'il a eu durant sa période de scolarité normale. Peut-être, qu'elle aussi se sentait différente par sa couleur de peau alors elle s'est rapprochée de lui. Au primaire, les enfants sont cruels entre eux. »

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant