CHAPITRE VINGT ET UN

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L'humidité commençait à tacher le jean de Judi, alors qu'ils étaient étalés sur la pelouse fraîche. Andréa le regardait allumer sa cigarette. Ses cheveux tressés tombaient en cascade sur ses épaules et encadraient son beau visage chocolat au lait. Le rouge qu'elle avait appliqué sur ses lèvres brillait dans l'obscurité et soulignait les courbes de sa bouche. Judi l'observait aussi, comme encore étonné de voir qu'elle ne le fuyait pas. Il semblait être impossible pour lui de se tenir aussi près d'elle, dans ce silence.

« Comment vas-tu, depuis le temps ? » demanda-t-elle pour briser le sentiment de malaise qui commençait à pénétrer les deux jeunes gens.

Judi se doutait bien que sa question n'était pas simplement de la politesse. Andréa voulait savoir si son tempérament coléreux et irascible s'était apaisé, si le jeune garçon isolé et silencieux, qu'elle avait connu alors qu'elle venait tout juste d'entrer dans ses années d'adolescence, avait retrouvé la maîtrise de lui-même.

« Visiblement, oui », ironisa-t-elle en désignant d'un coup d'œil Romane, qui jouait à un jeu d'alcool dans la véranda.

Malgré le mois de décembre, il semblait que la plupart des invités préféraient se divertir sur les parties extérieures de la maison. Des mégots s'étaient éparpillés entre les brins d'herbe. Un peu plus loin, le barbecue s'était transformé en feu de camp et une odeur âcre commençait à étouffer l'atmosphère. Les rires recouvraient la musique et le bruit sourd des bulles s'échappant des bouteilles de soda détonnait de plus en plus fort chaque minute.

« Elle ne serait pas resté avec toi, sinon », finit par dire la métisse en lui souriant, presque jalousement.

Comme si elle les avait entendu, Romane se précipita vers eux, éclaboussant encore plus ses chaussures d'eau. Elle agrippa Judi par les épaules, cherchant ses mains pour le soulever.

« Venez, c'est bientôt le décompte ! » s'écria-t-elle.

Judi jeta un œil à son téléphone, avant de laisser faire la jeune fille. Il était vingt-trois heure cinquante huit. Que faisait Créa à cette heure-là ?

Une trentaine de personnes étaient encaissées derrière le canapé, ainsi que devant la table basse, pour assister au compte à rebours sur la télévision. L'écran s'illumina et de grands chiffres défilèrent, provoquant l'euphorie dans le public. Les voix s'unirent pour crier à cœur joie les trois derniers, puis le sol se mit à trembler.

« Bonne année ! »

Où était-elle ?

Un fracas puissant s'éleva dans le ciel et des éclats de lumière illuminèrent le visage pâle de Judi. Ils se précipitèrent tous, entre les cris d'excitation et les embrassades, dans le jardin pour admirer les étoiles s'animer. Mille couleurs rayonnantes contrastaient à présent avec la noirceur de la nuit. Elles s'estompaient, ensuite, dans une brume opaque, masquant les rayons de la lune — descendante ce soir-là.

Ils avaient tous les yeux rivés sur le feu d'artifice, sauf Seb et Jean. Les deux garçons étaient restés dans la maison et se regardaient en chiens de faïence. Debout, face à face, les poings serrés, leurs yeux ne cillaient pas. L'atmosphère planante se faisait de plus en lourde. Leurs corps tendus commençaient à les faire souffrir. Les coups retentissant des pétards étaient les seuls bruits audibles dans la pièce.

Janvier commença par un coup de poing et continua dans des hurlements. Le nez dégoulinant de sang, Seb se releva difficilement pour frapper dans la mâchoire de Jean. La douleur électrisa le visage de ce dernier et il attaqua, à son tour, doublement plus fort. La rage, qui les guidait dans cette lutte acharnée, ne cessait de s'intensifier.

« Quel est ton problème, bon sang ? s'écria Seb. Pour qui te prends-tu ? »

Une bouteille de bière s'écrasa au sol alors que le corps de Jean heurta un meuble qui bordait le mur du salon. Sébastien se rapprochait dangereusement de lui, l'empêchant de bouger, l'obligeant à tenir son regard dévasté, à lui faire affront.

« Si tu n'es pas capable de te réjouir pour mon bonheur, comment peux-tu prétendre être mon ami ? Est-ce que c'est si difficile que ça, d'accepter que j'ai une copine et non toi ? » lui cracha le jeune homme à la figure.

Jean était pétrifié. Il se savait en tord, pourtant il persistait à croire que tout ceci n'était pas vain. C'était leur amitié qui était en jeu, la seule et unique réelle amitié que chacun n'avait jamais connue.

Chaque chemin existe pour une raison. S'ils menaient tous au même endroit, quel serait leur but ?

« Je crois qu'il est temps qu'on s'éloigne un peu, continua Seb. On n'aurait pas pu continuer ainsi toute notre vie, n'est ce pas ? »

Jean ne répondit pas. Il le scrutait, mémorisait chaque détail de son visage, n'en perdait pas une miette. Il ne voulait pas l'oublier.

*

Le feu d'artifice avait cessé sous les sifflements et les applaudissements des jeunes gens. Peu à peu, le froid les guida vers l'intérieur de la villa. Ils ne remarquèrent même pas le désordre qu'avaient fait Jean et Seb dans le débarras de canettes vides et de cendriers qui occupait le salon.

La musique reprit son tintamarre. Andréa s'élança avec les autres sur la piste de danse, remuant ses hanches sur un rythme lent. Ses longues tresses vibraient dans son dos, ses jambes ne s'arrêtaient pas de bouger, ses bras s'élevaient au-dessus de la foule et ses yeux s'étaient clos, tandis que sa tête penchait légèrement sur le côté.

Judi voulut la rejoindre, mais une main l'intercepta et le tira vers un couloir qu'il ne connaissait pas. Il faisait un peu plus sombre que dans la pièce principale, mais il distinguait encore où se posaient ses pieds. Jusqu'à qu'on ferme une porte derrière lui et que tout éclat de lumière artificielle disparaisse.

« Judi ? »

L'espace était étroit entre les deux murs qui l'entouraient. De fins doigts vinrent chatouiller son dos pour se poser sur son épaule. L'air lui manquait. Il s'appuya sur une des surfaces moites tout en fermant les yeux. Il sentit le mouvement délicat se déplaçait vers son cou. De petits pics de chaleur parcoururent sa peau.

« Créa, chuchota-t-il, presque haletant.

— Quoi ? »

Toujours dans un état second, il distingua peu à peu le visage surpris de Romane qui l'avait subitement lâché pour venir se planter devant lui. Mal à l'aise, Judi lui sourit, avant de s'écrouler contre le crépi dans un sanglot inaudible.

« C'est la drogue qui te fait délirer. Pauvre Judi », se lamenta Romane en s'asseyant à ses côtés.


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Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant