CHAPITRE VINGT NEUF ET DEMI

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« Ne t'inquiète pas, mes parents ne seront pas là », dit doucement Judi, lorsqu'il constata la nervosité de la jeune fille.

  Il essayait de la suivre, mais elle marchait vite, un peu trop vite. Ses pas étaient pressés, son dos courbé, ses épaules rentrées. Elle regardait au sol, tandis qu'ils zigzaguaient entre les passants.

  « Pas de soucis », s'efforça-t-elle de répondre dans un sourire rapide.

  Un nuage blanc de condensation s'échappa de ses lèvres lorsqu'elle parla. Ça le fit sourire. Il l'imaginait une cigarette à la main, courant pour attraper le métro ou le tramway. Il la voyait se faufiler dans la foule de la grande ville, prendre place au milieu de cette danse infernale et briller. Elle s'était acclimatée à ce nouveau mode de vie, malgré toute la réticence qu'elle avait pu y mettre. 

  Ils quittèrent les quartiers de l'ouest de la ville pour se diriger vers ceux du nord, prenant des détours et ignorant les raccourcis. Ils passèrent devant le parking du supermarché, désormais plein à craquer, et où quelques mois plus tôt, ils avaient dansé sur l'asphalte. Judi frémit. Il se souvenait les longs moments passés où il espérait tant la voir apparaître dans son éternelle et légendaire décapotable, alors qu'elle se noyait dans les tourbillons de l'université.

  Et, maintenant que sa chevelure flottait devant lui, qu'il pouvait sentir son odeur et effleurer sa peau, maintenant que le monde s'était remis à tourner dans le bon sens, il se sentait vide. Il se sentait vide et pourtant plein de doute, d'angoisse et de regret. Elle faisait ressortir un Judi qui ne mériterait pas de se nommer ainsi, un Judi dont il ignorait l'existence et qu'il venait à peine de rencontrer.

  Ils arrivèrent devant l'immeuble, un peu essoufflés par leur marche et toujours silencieux.

  « Salut, toi ! » s'écria Créa en apercevant le cabriolé rouge, garé à deux pas d'eux.

  Elle sortit ses clés de l'arrière de son jean et s'engouffra dans l'habitacle.

  « Tu sens ça ? demanda-t-elle à Judi en humant le cuir. C'est l'odeur du sel et du sable. »

  Il s'approcha de la voiture, curieux de découvrir cette senteur qu'il n'avait jamais remarquée durant leurs nombreux trajets. Malheureusement, ce fut ce même effluve corsé qui l'accueillit.

  « Tu sais comment je l'ai eu ? s'enquit Créa, un sourire à nouveau éclatant sur le visage et un air malicieux dans les yeux. Un été, lorsqu'on est parti en vacances au bord des côtes, j'ai rencontré une fille. Elle était un peu plus âgée que moi, elle rentrait à l'université. Elle voulait s'en débarrasser, mais on a fait connaissance et elle a appris que je passais mon permis. Elle m'a dit qu'elle n'en aurait plus besoin dans sa nouvelle vie, alors elle me l'a donné. »

  Elle finit sa phrase en haussant les épaules, comme si donner une voiture était la chose la plus naturelle à faire. Judi resta perplexe, jouant avec le trousseau de clés de chez lui.

  « Tu aurais dû voir la tête de ma mère lorsque je lui ai montré ma nouvelle acquisition, rit-elle. Je ne lui ai pas dit d'où elle venait, car à vrai dire je ne savais pas grande chose de cette fille. J'ai raconté avoir fait une affaire chez un petit marchand d'occasions. »

  Judi s'impatientait en soufflant légèrement, accoudé au rebord de la portière. Il alluma une cigarette et la laissa se consumer entre ses lèvres.

  « Peut-être que ce sera toi, le prochain propriétaire », marmonna Créa en sortant de la voiture, sans que le garçon l'entende.

  L'engouement de Créa avait disparu, tandis que celui de Judi revenait petit à petit, lorsqu'ils entrèrent dans l'appartement. Ils passèrent dans un salon à la tapisserie vieillie et aux meubles en bois vernis, puis dans un couloir où le plancher gondolait légèrement.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant