CHAPITRE DOUZE

544 80 51
                                    

Créa avait mal aux fesses. Depuis deux heures, assise sur des bancs en bois mal conçus, elle gigotait dans tous les sens pour trouver une position confortable. Elle n'avait fait que la moitié de son cours de philosophie antique et, déjà, les soupirs du petit groupe derrière elle lui titillaient les nerfs.

Elle n'osait pas jeter un regard en leur direction, sagement concentrée sur sa feuille et les paroles du professeur. Pourtant, sur le papier, les dessins gribouillés par nervosité se succédaient. Créa essayait de s'occuper l'esprit, de faire fuir l'ennui, mais la solitude rongeait toutes ses pensées.

Elle scrutait un trio de fille en contrebas. Elle les enviait avec leurs airs insouciants, amusés et leurs rires étouffés. Les trois étudiantes se ressemblaient étrangement. Des cheveux lissés, des yeux soulignés par du fard à paupière et une peau aux imperfections floutées. Créa eut presque honte d'être aussi naturelle. Elle se sentait si différente.

Lorsqu'on annonça une pause d'un quart d'heure, Créa ramassa toutes ses affaires et suivit le mouvement des fumeurs. Elle se fraya un chemin entre la petite masse agglutinée devant les portes de l'amphithéâtre et s'écarta de quelques pas. Son paquet de cigarette s'était fourré entre ses classeurs. Elle l'agrippa en soupirant, agacée et à la fois contente de se dégourdir les jambes.

Les quinze minutes semblaient s'être soudainement évaporées quand, déjà, elle vit les autres étudiants retourner en cours.

Son estomac se noua. La nicotine n'avait pas réduit son stress. Elle écrasa sa Marlboro sur le coin d'une poubelle et jeta le mégot fumant dans le cendrier. Elle soupira face aux deux heures qui l'attendaient encore. Résolue à enfin suivre les autres et s'engouffrer dans la salle de cours, elle s'avança. Mais une fois arrivée au seuil des portes battantes, ses jambes refusèrent de bouger.

A travers le plexiglas, elle voyait le professeur reprendre son micro, les étudiants se taire un à un et le cours recommencer.

Personne ne soulignerait son absence, si ce n'est même qu'on ait remarqué sa présence.

Créa fit demi-tour. L'occasion d'échapper à cette torture était bien trop tentante. Seulement où allait-elle aller, à présent ? Il était hors de question de retourner dans son appartement où les odeurs des restaurants emplissaient déjà l'air à dix heures du matin.

Rapidement, elle vérifia qu'un livre logeait bien entre le cuir de son sac et un classeur, puis partit en quête d'un endroit calme pour lire.

Elle se perdit dans les dédales des couloirs. Ils se ressemblaient tous et les numéros des salles n'en finissaient jamais.

Elle grimpa un étage et se retrouva dans une impasse. Sur sa gauche une grande baie vitrée donnait sur les alentours de l'université, tandis qu'à droite une porte avec un écriteau.

  Entrepôt pour les licences d'art.

Créa n'était même pas au courant que son université enseignait aussi les arts. Mais le lieu semblait idéal pour les quelques heures qu'elle prévoyait de tuer loin de chez elle. Il suffisait seulement que la porte ne soit pas verrouillée.

Elle veilla d'abord à ce que les couloirs soient bien vides dans cette partie du bâtiment puis, s'approcha lentement de la poignée. Celle-ci s'actionna sans résistance.  

À tâtons, la jeune fille réussit à appuyer sur l'interrupteur. La lumière envahit la petite salle et toutes sortes de peintures, croquis, livres et sculptures se révélèrent à Créa. Plusieurs travaux semblables étaient encaissés dans des cartons. Un tableau inachevé attendait derrière une étagère. Sur un fil à linge, qui traversait le local de part en part, des aquarelles encore fraîches gouttaient sur des feuilles de papier journal.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant