FÉVRIER - CHAPITRE VINGT CINQ

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La caméra trônait sur le bord d'un banc, tandis que le ciel nuageux grondait au-dessus de la tête de Jean. La luminosité était basse et le froid tendait tous les muscles du jeune homme. Les conditions n'étaient pas optimales, mais il était déterminé. Il appuya sur le petit bouton et un voyant lumineux apparut sur le boitier.

« Ça tourne », souffla-t-il.

Il recula, hésitant. La semelle plate de ses baskets rappait le sol, alors qu'il attrapait son skateboard. D'un geste mécanique, il fit rouler sa planche devant lui et sauta dessus avec agilité. Son corps maigrichon ondulait au fil des obstacles qu'il avait à éviter. Il arriva face à une bosse, fléchit ses genoux, et la gravit dans un saut rapide. Sa réception était lourde, mais il se sentait léger. L'air fouettait son visage, alors qu'il prenait de la vitesse. Il avait le skatepark à lui tout seul, c'était son heure de gloire.

Petit à petit, il prit de l'assurance et s'élança sur un rail en métal. Les roues crissèrent sous l'acier froid, brisant le silence qui survenait souvent lorsque la fin de journée s'annonçait. Il sentait le bois vibrer sous ses pieds, la puissance de son impulsion, la pression de son corps qui s'élevait au-dessus du sol.

C'était comme si Seb était avec lui, sauf que là, il y avait une caméra.

Il se dirigea vers un des quatre quarters, situés à l'extrémité du lieu, prit de l'élan et s'éleva dans les airs. D'un mouvement de cheville, il bascula le skate derrière lui. Les genoux repliés, il prit de la hauteur, avant de retomber au sol, au même rythme que sa planche. Son pied glissa sur la peinture écaillée et il s'écrasa au sol dans un cri rauque.

Le poignet broyé sous le poids de sa carcasse, il se releva avec peine. La douleur battait ses veines. Les sensations de sa main disparaissent.

« Merde. »

Son juron résonna sur les murs des immeubles alentours et Jean s'en alla, comme si rien ne s'était passé, la caméra sous son bras.

*

L'écho du mouvement gracieux des vagues s'entendait encore depuis l'endroit que Judi et Créa avaient choisi pour ce début de soirée. Ils attendaient que la lumière artificielle remplace celle du soleil pour rentrer chez eux. L'écroulement des galets berçait la voix du jeune homme, tandis qu'il éparpillait une dizaine de feuille, remplies de gribouillis, sur le sol rocailleux.

« J'ai trouvé ça sur le site de ton université. J'ai recopié ce que j'avais compris. »

Créa regardait sans vraiment voir toutes ces écritures de travers. Des schémas à l'encre verte décoraient les marges et remplissaient les carreaux. De grosses lettres se mélangeaient avec des petites, créant un tourbillon de mots.

Judi se racla la gorge, se recoiffa d'un geste, puis commença :

« Imagine que je sois coincé au fond du lac, depuis toujours. D'un côté, dans le bas fond, l'obscurité la plus totale me noircit l'esprit. De l'autre, le reflet du soleil transperce les vagues. Il y a des ombres qui passent devant cette lumière. Elles dansent, elles m'ensorcellent, elles façonnent l'idée que je me fais du monde à l'extérieur de l'eau. Puis, soudain, tu plonges », s'exclama-t-il.

Il parlait avec de grands gestes, se perdait dans ses explications, mâchait certains mots, accélérait à des moments, faisait des pauses en la jaugeant du regard, mais ne lâchait pas ses précieuses notes auxquelles il n'y jetait pas un œil. 

« Tu apparais devant moi comme la première chose réelle que je vois. Tu veux que je remonte avec toi. Avec tes grands yeux et ton sourire, tu me tires jusqu'à la surface, malgré mes lourdes protestations. Car j'ai peur, souffla-t-il. Peur de la réalité. Et là, je la vois, cette lumière que je prenais pour une étoile. Les phares de ta décapotable m'aveuglent et je réalise que toutes ces ombres n'étaient que des leurres transformés en lueurs. »

Créa tenait sa Marlboro en suspend. Elle ne l'avait pas encore porté à ses lèvres. Elle pendait entre ses doigts, le filtre presque écrasé par la pression qu'exerçait la jeune fille. Le froid ne la faisait plus trembler, elle scrutait désormais Judi, abasourdie.

« Le mythe de la caverne ? Ingénieux, dit-elle en se reprenant.

— Je crois que j'aurais ça pour le bac, moi aussi. »

Elle ne savait plus quoi dire. Peut-être n'était-ce pas une bonne idée, après tout, d'avoir accepté son aide. Tous les deux ne sont pas encore assez prêts pour faire semblant.

« Pourquoi je crée l'illusion et je joue le rôle du libérateur, en même temps ? lança-t-elle.

— Parce que, hésita-t-il, lorsque tu n'es pas là, c'est comme si je ne connaissais plus rien, que je n'avais rien appris. Tout redevient comme avant, quand tu pars.

— Tu redeviens violent, c'est ce que tu veux dire ? » dit-elle en se levant, un brin d'agacement dans la voix.

Elle n'était pas grande, mais paraissait immense vue d'en bas. Ses longs cheveux flottaient derrière elle, tandis qu'elle tourna le dos à Judi.

Il ne comprenait pas. Il se sentait démuni. C'était comme si elle le fuyait, qu'il ne pouvait rien faire pour la rattraper. Comme l'eau du lac qui se dérobait sous ses doigts.

« Où vas-tu ? J'avais préparé d'autres trucs à réviser.

— On rentre. Je te ramène chez toi. »

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*

Hello ! Je préfère prévenir, je ne suis pas une pro en philo. Du coup, si certains s'y connaissent mieux et voient des grosses erreurs, courrez me les signaler. Pour ceux qui ne connaissent pas le mythe de la caverne, je vous conseille d'aller consulter la version de Platon avant d'essayer de comprendre la mienne.

Crépuscule sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant