Crépuscule sous les étoiles

CHAPITRE DIX-NEUF

Le bruit de moteur s'arrêta devant une grande maison à la toiture blanche et aux murs crépis d'une peinture bleu ciel. De petites ampoules incandescentes illuminaient l'entrée par laquelle on pouvait apercevoir l'agitation à l'intérieur. Une musique un peu trop forte émanait du lieu et en faisait trembler les fondations. La pelouse sur laquelle Judi marchait était trempée par l'humidité et les averses de ses derniers jours. Les gouttelettes qui surplombaient les brins d'herbe luisaient sous les rayons lunaires. En quelques secondes, les chaussettes du garçon étaient déjà imprégnées d'eau.

« Oh non, mes nouvelles chaussures ! » s'exclama une voix derrière lui.

Romane avait écarquillé ses immenses yeux bleus et porté ses mains à son visage déconfit.

« Ce n'est pas grave, dit-il d'un ton rieur. Ça séchera. »

Il se rapprocha de la jolie brune et passa un bras autour de ses épaules. Elle se lova dans son étreinte tandis que la soirée battait son plein à quelques mètres d'eux.

« On est là pour la fêter, cette nouvelle année, déclara-t-il les bras en l'air. D'ici quelques heures tu te baladeras pieds nus, de toute manière. »

Elle l'embrassa d'un léger mouvement de lèvres, murmurant un « oui » qui se perdit dans l'écho de leur baiser.

Les cheveux ébouriffés et le rouge aux joues, ils sonnèrent à la porte d'entrée où un grand gaillard de terminale, déjà éméché, les invita à entrer. L'ambiance était lourde et moite. Une odeur d'herbe et de sueur se dégageait du lieu. La cuisine était remplie de chips émiettées et de bouteilles multicolores. Le liquide qu'elles contenaient stagnait dans les verres en plastique déposés sur l'évier. Judi dégota une pizza encore intouchée et en tendit une part à Romane. Elle croqua dedans vigoureusement, devant le regard amusé du jeune homme.

« La fumette, ça donne faim », se justifia-t-elle en essuyant la sauce tomate qui débordait de ses lèvres rosées.

Le brun secoua sa tête dans un rire un peu trop bruyant, recouvrant le mince filet de musique qui s'échappait de la porte fermée. Judi ne se souvenait pas l'avoir verrouillée, après s'y être précipité avec Romane.

« Fumer avant la soirée n'était peut-être pas une bonne idée, essaya-t-il d'articuler alors que soudainement il ne sentait plus ses muscles le soutenir. Je suis déjà dans les étoiles.

— Dans les étoiles ?

— Oui, tout là-haut ! » s'esclaffa-t-il en pointant le plafond d'un air rêveur.

Alors que son regard se perdait encore dans le crépis blanc au-dessus de lui, on entra. Seb et une jolie rousse pointèrent le bout de leur nez à la recherche de bières. Judi reconnu la fille, mais son nom lui échappait. Elle n'était pas si belle tout compte fait, lorsqu'on la regardait de plus près. Un nez disgracieux se fondait dans la masse de taches de rousseur et surplombait deux grands yeux marron. Elle portait un jean qui moulait les formes de ses hanches et son haut, presque transparent, laissait deviner une poitrine généreuse. Il leur sourit niaisement, avant d'entraîner Romane vers l'arrière de la villa.

« Qui les a invités ? » rit Judi.

La jeune fille disparut derrière une masse de cheveux ondulés en tentant de faire une référence. De ses deux mains, elle avait relevé sa robe de soirée et ses pieds se croisaient sur le carrelage taché.

« C'est toi ? Je croyais que c'était une soirée qu'entre terminales. »

La joie disparut brièvement sur le visage du garçon, avant de réapparaître en un rictus volage. Il écrasa ses lèvres sèches et pâteuses sur celles de Romane. Puis, sautilla jusqu'à atteindre la porte-fenêtre qui donnait sur l'arrière-cours et le jardin qui s'étendait à l'horizon.

« Judi ! cria-t-elle alors qu'il s'éloignait déjà. Pas de violence », finit-elle dans un murmure.

Une chevelure imposante vint perturber son champ de vision et le parfum fruité de la jeune fille qui venait de la frôler enivra le corps meurtri de Romane. Elle s'appuya sur un petit buffet en bois qui longeait le mur en suivant du regard la démarche sauvage de la métisse. Sa peau matte rayonnait sous la lumière tamisée, son maquillage la sublimait et ses longues jambes élancées lui donnaient l'impression de s'envoler. Romane soupira.

*

Judi frissonna en entrant à nouveau en contact avec l'herbe humide et l'air froid de décembre. Il courut presque pour rejoindre l'amas de garçons qui entourait le barbecue. Le feu dansait dangereusement devant leurs yeux rougis et aux veines éclatées. Une fumée dense s'échappait au rythme de leur souffle, ainsi que d'un long papier roulé qui passait de main en main. On le tendit à Judi qui le porta avidement à ses lèvres.

« Dire qu'avant tu n'avais jamais fumé ça ! » s'exclama un des garçons qui composaient le petit cercle de lycéens.

Judi sourit en lui passant à son tour le joint déjà bien entamé. Il écouta leur discussion un moment, sans vraiment y participer, avant de s'écarter de leur groupe pour sortir de sa poche un petit paquet rouge de Marlboro. D'un geste, il alluma sa cigarette, mais tout aussi rapidement, on la lui arracha des doigts.

« Tu fumes, toi ? »

Une voix grave s'était élevée derrière lui, où une grande brune à la peau foncée le toisait de ses yeux maquillés.

« Des marlboros, de ce fait ! »

Judi mit du temps avant de reconnaître la jeune fille. Il ne s'attendait pas à la revoir d'aussitôt.

« Andrea ! »

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