CHAPITRE 1

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Quelques mois plus tard...

ALINE ADAMS

   J'entre dans le réfectoire, me munis d'un plateau et m'installe à ma table habituelle tout au fond de la salle, sous le regard pesant des surveillants. Baissant la tête vers mon plat, je dissimule mon visage derrière mes cheveux et me mets à jouer distraitement avec ma cuillère, la plongeant et replongeant dans mon assiette.
Je n'ai pas faim du tout, et c'est à contre-cœur que je me force à avaler une ou deux cuillérées du liquide verdâtre qui remplit mon plat.

   Mais je ne peux pas m'empêcher de grimacer quand le filet de soupe glisse dans ma gorge : ce réflexe n'est pas dû au mauvais goût de ce plat, mais à la douleur piquante qui enflamme mon œsophage quand le liquide y passe.
Toussant légèrement, je me maudis intérieurement en me rappelant les conseils du docteur Morrison, qui m'a examinée il y a à peine quelques jours de cela : « Il faudra que tu fasses attention en mangeant, ta blessure mettra du temps à cicatriser. »

   Portant la main à ma gorge douloureuse, je la tâte doucement quand une voix bien connue retentit dans les haut-parleurs, qui grésillent sourdement quand le son s'en échappe :

« - Mademoiselle Aline Adams est priée de se rendre dans le bureau de la directrice le plus vite possible. »

Je pousse un soupir : ça n'est pas moins de ma troisième convocation en une semaine.

   Mais bon, après tout cela tombe plutôt bien ; à l'heure du déjeuner, il y a toujours des surveillants qui viennent vérifier que j'aie assez mangé, et comme à chaque fois je ne mange presque rien, je me fais souvent disputer : c'est déjà ça de gagné.
Je repousse lentement mon assiette en silence, et sort de la cantine pour me rendre dans les bâtiments supérieurs où se trouvent les bureaux, l'infirmerie et le cabinet du psychologue.

Tandis que je traverse le long couloir, je perçois la voix niaise et mielleuse de Lenny Cartney, avec la désagréable impression qu'elle se rapproche de plus en plus.

   Au bout d'un moment, je relève la tête, et soupire intérieurement : j'avais vu juste, la grande blonde aux yeux sournois s'avance vers moi à grand pas.

- Alors, on a encore fait des conneries ? ricane-t-elle en passant à côté de moi.

   Je ne réponds pas et essaye de l'ignorer, continuant d'avancer, mais j'ai à peine le temps de faire un pas que Lenny me pousse violemment.
   Je tombe à terre, sonnée, et pose quasi-instantanément la main à l'endroit où elle m'a touchée, la fixant impassiblement.

   Sans s'arrêter de sourire, Lenny me regarde de haut en bas, moqueuse, avant de continuer sa route sans un mot de plus. Je me contente de me relever, la main toujours plaquée contre mon bras, et reprends ma route comme si de rien n'était. Je me contente toujours de laisser glisser ce genre de choses sur moi, sans y prêter attention.

   Lenny Cartney est une fille qui a été placée ici après la mort de son père, car sa mère n'arrivait plus à la gérer. Comment je le sais ? Je l'ai entendue en parler avec une amie, et je n'ai pas pu m'empêcher d'écouter. Depuis mon arrivée au foyer, elle ne cesse de se moquer de moi et de me tourmenter, sa haine inexpliquée et inexplicable envers moi grandissant de jour en jour.

Elle parle souvent de mon père et fait courir des rumeurs sur moi, mais elle ne connait rien de mon passé alors j'essaye de ne pas y prêter attention, même si c'est difficile.

   Un soir je l'ai entendue pleurer dans les dortoirs ; je sais qu'elle souffre de sa situation, ça se voit, mais pour cacher son mal-être elle rabaisse les autres. Chacun a sa manière de se sentir mieux, et elle a choisi celle-ci, bien que ce ne soit pas du tout la plus noble.

(Sur)vivanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant