(Sur)vivante

CHAPITRE 5

ALINE ADAMS

   Aujourd'hui, c'est le jour de la rentrée.
   Quand nous sommes revenues du centre commercial la semaine dernière, Helen m'a appris qu'elle m'a inscrite dans le même lycée qu'Ashley et Alexandre, ses deux enfants. Je ne suis pas très enthousiaste à l'idée d'y aller : j'ai toujours plus ou moins aimé étudier, mais je n'ai jamais réussi à entrer dans la sphère scolaire, ni à adopter le quotidien d'une élève normale.
   Depuis toute petite et à chaque rentrée, on m'a systématiquement attribué le rôle de la fille bizarre, autrement dit celle qui n'a pas d'amis et passe son temps à la bibliothèque le nez dans ses livres et ses cahiers.
   Je dois dire que celle réputation me convient tout à fait : l'amitié très peu pour moi, la compagnie des livres me suffit.

- Ma chérie, ça va être l'heure ! lance Helen depuis le rez-de-chaussée.

   Je finis de m'habiller, sors de ma chambre et descend les escaliers d'un pas lent. Je vais directement au salon et me laisse tomber sur le canapé, tapotant nerveusement l'accoudoir en cuir avec mes ongles.

   Helen sort de la salle à manger, et s'avance vers moi en souriant.

- Que veux tu manger ce matin, ma chérie ?

- Je n'ai pas très faim, merci... je marmonne en secouant lentement la tête.

Helen hoche doucement la tête.

- Comme tu voudras, ma puce.

   J'allume la télévision et, tout en suivant distraitement les scènes de dessin-animés qui défilent à l'écran, j'attends en silence qu'Ashley finisse son petit-déjeuner.
   Penchée au-dessus d'un bol de muesli, la jeune fille a l'air encore à moitié endormie, comme si elle vient de passer une nuit blanche. Je remarque aussi qu'Alexandre et Nolan ne sont pas là, mais ni prête aucune attention : même s'il a été gentil avec moi pendant cette première semaine, je n'ai quasiment pas parlé au conjoint d'Helen.
   Quant à Alexandre, je ne lui ai jamais adressé la parole : il s'est contenté de faire comme si je n'existe pas, et inversement.

   Quand Ashley termine enfin de manger, elle m'explique que c'est son frère qui nous conduira au lycée. Helen nous souhaite une bonne journée, et, après avoir jeté nos sacs de cours sur nos épaules, Ashley m'entraîne vers le garage où est stationnée la voiture, dans laquelle Alexandre – d'après elle – doit déjà nous attendre depuis longtemps, nerveux et de mauvaise humeur.

   À priori, elle n'a pas tort : son frère nous attend bel et bien dans l'imposant véhicule, les ongles tapotant le volant en cuir noir et les pieds s'agitant nerveusement sur les pédales.

- Vous en avez mis du temps, nous dit-t-il sur le ton du reproche après avoir déverrouillé la voiture.

   Sa sœur l'ignore royalement et s'assoit à côté de lui, sur le siège avant.

   Quant à moi, je ne dis rien et m'installe à l'arrière du véhicule, en silence. Alexandre démarre et personne ne parle pendant tout le trajet : c'est le genre de matin typique où tout le monde est plus ou moins nerveux, voire de mauvaise humeur.
   Un moment plus tard, nous arrivons enfin devant le lycée, toujours sans avoir échangé un seul mot.

   Nous sortons tous les trois de la voiture et entrons dans le bâtiment comme un seul homme, nos six pas réunis martelant nonchalamment le sol goudronné.

   Nous traversons la première cour du lycée, qui débouche sur l'immense hall : à partir de là, le malaise m'envahit instantanément, exactement comme au centre commercial la semaine dernière : ce sentiment d'être propulsée dans un autre monde, avec lequel on est complètement en décalage.