CHAPITRE 6

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ALEXANDRE LEWIS

   Nous avons repris les cours depuis au moins deux bonnes semaines.
   Aline est toujours aussi mystérieuse qu'à son arrivée, et je n'ai pas vraiment réussi à parler avec elle. Cette fille m'intrigue. Elle est le parfait opposé des autres ados que mes parents ont recueillis, et j'en ai vu passer.
   À vrai dire, c'est ce que je redoutais le plus avant qu'elle arrive, mais j'ai vite réalisé qu'Aline était totalement différente de l'idée préconçue que je m'étais faite d'elle : elle ne pleure pas, ne se plaint jamais et ne passe pas son temps à faire des caprices pour rien.

   Au contraire, elle est toujours très silencieuse, et d'un calme légendaire. Elle ne s'énerve jamais et, les rares fois où elle manifeste sa présence, on ne peut que constater sa douceur et sa discrétion : quoi qu'elle fasse, cette fille semble toujours effacée de tout.

   D'ailleurs, elle arrive justement.
   Je me glisse dans la voiture et ouvre la portière parallèle à la mienne pour qu'elle monte à son tour. Eh oui, je reste quand même un gentleman.
   La jeune fille grimpe en voiture et pose son sac de cours à ses pieds.

- Tu as passé une bonne journée ? je demande.

- Oui, merci.

   Je ne peux m'empêcher de sourire : c'est toujours agréable de l'entendre parler, même si ça fait toujours un peu bizarre tant c'est rare. Et puis... il faut dire qu'Aline a aussi une très jolie voix.

   Je démarre la voiture pour quitter le lycée, et le trajet se fait dans le plus grand silence.
   Tandis que je reste concentré sur la route, Aline regarde le paysage défiler, sa musique dans les oreilles. Elle balance doucement la tête de gauche à droite, ses grands yeux bleus-gris fixant un point X de l'autre côté de la vitre.
   Son doux visage est figé en une expression impassible, mais très sereine à la fois... elle est si belle, je me demande bien ce qu'elle peut écouter.

- Tu peux remonter la vitre, dis-je au bout d'un moment afin de rompre le silence. Il fait frais dehors, le ciel est gris. Je pense qu'il ne va pas tarder à pleuvoir.

   Elle ne répond pas et continue à fixer quelque chose loin devant elle. Je ne suis même pas sûr qu'elle m'ait entendu. Elle a l'air absente, comme si elle est présente physiquement mais que son esprit est complètement ailleurs, en vadrouille dans les tréfonds les plus sinueux de ses pensées.

Mais bon, cela lui arrive souvent donc je ne me pose pas plus de questions, et la laisse tranquille : de toute façon c'est la seule chose à faire quand elle ne réagit pas à nos tentatives de dialogue.

   Une fois arrivés à la maison, nous descendons de voiture et chacun monte dans sa chambre.

ALINE ADAMS

   Une fois rentrés, je monte dans ma chambre, pose mon sac au sol et me laisse mollement retomber sur mon lit, repliant mes bras sur moi-même. Une nouvelle journée vient de passer, courte mais affreusement longue à la fois.
   Les cours ont repris depuis deux semaines, et ces quinze jours ont été strictement identiques, partagés entre cours moqueries et brimades, voire les trois en même temps.

   J'essaye de ne pas y prêter trop attention : ce que je peux vivre au lycée, ce n'est rien du tout comparé à ce que j'ai traversé pendant des années. Même si, évidemment, je ne peux pas dire que tout cela me laisse indifférente, loin de là.

   Au fond de moi, je sais très bien que toute la colère et l'humiliation que j'accumule au fur et à mesure des jours finira par exploser tôt ou tard, et quelle qu'en soit la manière ce ne sera agréable pour personne, pas même moi.
   Je sais qu'inconsciemment je fais de mon mieux pour empêcher cela de se produire, mais seulement c'est de plus en plus dur, et je sais pertinemment que ce moment finira par arriver.
   Les trésors de patience et la capacité émotionnelle que je me suis forgée pendant des années pour pouvoir tout supporter en toutes circonstance atteindra bientôt ses limites, et le seul fait d'y penser m'angoisse terriblement.

   Soudain, la porte de ma chambre grince bruyamment, me faisant sursauter au passage. Surprise, je me redresse brusquement dans mon lit, me repliant instinctivement à l'extrémité de celui-ci : Alexandre vient d'entrer dans la pièce, sans même prendre la peine de toquer.

- Aline ? Tout va bien ?

   J'acquiesce et essuie mes joues humides du bout de mes doigts froids, me détournant vivement de lui pour cacher mes larmes.

- Tu en es sûre ? insiste-t-il. Tu as l'air... 

- Oui. Maintenant sors de ma chambre, j'ajoute d'une voix froide, priant pour qu'elle ne tremble pas trop. S'il-te-plaît.

- Ne me parle pas comme ça, je te rappelle tu es chez moi ici ! s'énerve-t-il. Mais qu'est-ce qui ne va pas ? Je vois bien que... 

   Agacée et triste à la fois, je me lève d'un bond, me dirige calmement vers lui et le pousse hors de la pièce d'un geste sec. Une fois sur le palier, je lui claque la porte au nez et la ferme à clef.

   Enfin, je retourne à mon lit, m'y allonge et me met à pleurer à chaudes larmes, la tête enfouie sous mon oreiller. Ainsi, j'ai impression que tout ce qui s'est passé pendant cette journée me quitte en même temps que mes larmes.

   Et, sans avoir pourquoi, je me surpris à penser à Alexandre.
   Je regrette déjà d'avoir été méchante avec lui, mais je n'ai pas pu m'en empêcher... et puis de toute façon je lui ai demandé de sortir, il n'avait qu'à le faire de lui-même.

(Sur)vivanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant