(Sur)vivante

CHAPITRE 20

ALINE ADAMS

   Je ne sais pas ce qui m'a pris : il était prêt à m'écouter, nous étions bien, j'ai réussi à me confier à propos de ma mère... et il a fallu que je gâche ma chance de lui parler de ce qui s'est passé avec Nolan. J'étais sur le point de tout lui dire, mais je n'ai pas pu. Je n'ai pas réussi.
   Pourtant j'ai une confiance absolue en Alexandre et je sais que je peux tout lui dire, mais je me suis sentie incapable de lui parler de son beau-père : d'abord parce que j'ai toujours peur des menaces de Nolan, et aussi car je ne veux surtout pas lui faire du mal.

   Je sais qu'Alexandre a énormément souffert du rejet de la famille de sa mère – malgré son animosité quand il l'a évoquée, j'ai senti une réelle douleur quand il m'a parlé des circonstances de sa naissance –, et le décès tout récent de sa tante n'a sûrement rien arrangé.
   Je ne pouvais tout simplement pas le faire souffrir encore plus... et c'est sans parler d'Helen : je n'ose même pas imaginer sa réaction si, en plus de ce qui s'est passé, elle apprend que son mari l'a trompée.

- Les enfants, on mange ! s'écrie une voix inconnue depuis le rez-de-chaussée.

Je soupire et quitte mon lit, sur lequel je suis étendue depuis maintenant une bonne demi-heure.

En ouvrant la porte, je tombe nez-à-nez avec Alexandre : il est assis à même le sol, adossé contre le mur de notre chambre... Dieu sait depuis combien de temps il est là, dans cette position.

- Viens, on doit y aller, dit-il.

J'acquiesce, et descends les escaliers à sa suite.

En arrivant au rez-de-chaussée, Alexandre et moi nous rendons directement à la salle à manger, où un groupe de personnes est déjà réuni.

- Oh, vous êtes là... dit une femme inconnue en nous toisant d'un air hautain.

- Ouais, et alors ? riposte Alexandre, sur la défensive.

- Oh, ce n'est pas la peine de...

- Le repas est prêt ! s'exclame Helen en débarquant de la cuisine, essayant sans doute d'éviter une nouvelle dispute. Aline chérie, tu peux t'installer en face de Molly. Alex, il y a une place libre à côté de moi si tu veux.

   Pendant que Christiana et Helen disposent les plats sur la table, je m'installe en face de la jeune fille blonde désignée par Helen.
   Alexandre s'installe juste à côté de moi, en prenant bien soin d'ignorer les regards à la fois curieux et méprisants que les autres lui lancent sans aucune discrétion.

- Bonjour Aline, me salue joyeusement la femme qui avait manqué de se disputer avec Alexandre, quelques secondes plus tôt. Comment vas-tu ?

Je ne réponds pas, et elle poursuit :

- Je m'appelle Mary-Ann. Je suis une des sœurs d'Helen, et aussi la mère de Molly et Lawra, ajoute-t-elle en souriant.

- ... Enchantée, je finis par marmonner.

- Alors, où étais-tu avant d'arriver chez ma sœur ?

- Qui veut de la quiche ? demande Helen d'une voix enjouée, brandissant un plat chaud duquel s'échappe une légère fumée.

   Les autres la regardent avec des yeux ronds, assez surpris.
   En revanche je comprends tout de suite qu'elle a dit ça pour faire diversion, et m'éviter de répondre à une question très délicate – et surtout particulièrement douloureuse pour moi.

Ce qui ne marche pas, étant donné que cette femme reprend aussitôt :

- Alors ma puce, dis-moi, insiste Mary-Ann. Avec qui vivais-tu, avant ? Ton père ? Ta mère ?