Faëra ▬ Tome ✯ © (Les 9 Royaumes)

Six

Au bout de quelques minutes de route, j'ai laissé tomber mon angoisse concernant le compagnon de Kaël (je pense que son prénom commence par un « M », mais sans certitude). Je crois que j'aurais préféré rester dans mon inquiétude, mais mon esprit s'est tourné vers maman et Allie. J'ai comme l'impression que je n'ai pas besoin de trop m'alarmer pour la première. J'ai le pressentiment qu'elle sait où je suis et ça, c'est déjà bien. Mais Allie, ma meilleure amie, elle ignore tout de ça. Elle ne sait pas où je suis.

J'essaie d'imaginer ce qu'elle fait en ce moment même. Je ne sais pas quelle est la différence d'heures ou d'années entre nos deux mondes, mais dans la théorie où tout est semblable... Dans celle où c'est l'après-midi du samedi pour toutes les deux... Alors elle sait. Oui, elle sait que je ne la rejoindrais pas au centre commercial et que je ne serais pas là pour son anniversaire. Pour elle et pour le reste du monde, enfin de mon monde, j'ai disparu.

Ma main gauche est sur ma poche et je n'ai qu'une envie : me saisir de mon téléphone portable et de l'allumer (je l'ai préalablement éteint vu qu'il ne me sert à rien ici). Mais sortir un tel engin me vaudrait certainement une épée pointée de la part de nos deux nouveaux compagnons.

J'ai un poids à l'estomac à penser aux deux êtres que j'aime le plus au monde. Allie peut parfois être chiante, mais elle reste mon amie. Ma première et ma meilleure amie. C'est celle qui ne m'a jamais abandonnée, qui ne m'a jamais prise de haut malgré notre différence financière. C'est celle qui m'a fait rire aux éclats lorsque je dormais chez elle le week-end et que ça n'allait pas trop chez moi. C'est la fille qui m'a emmenée en vacances alors que je n'y ai jamais eu droit.

J'ai désormais la gorge sèche et les yeux humides à l'idée que je ne la reverrais peut-être plus, ni maman. Je ne peux pas rester ici dans une époque et un monde qui ne conviennent pas à me façon de penser ou à ma foi totalement inexistante.

Je saisirais la première occasion de partir et de retrouver maman. Je n'ai rien à faire ici.

Je prends une profonde inspiration et relève la tête, prête à affronter les prochaines heures.

Ces dernières se révèlent être très longues et éreintantes. Il n'y aucune distraction autour de moi et encore moins quelqu'un à qui parler. Je pourrais bien tenter quelques mots à l'adresse de John, mais le compagnon de Kaël pourrait nous surprendre. J'imagine qu'il n'attend que ça d'ailleurs. Je n'ai donc rien fait, à part regarder autour de moi et détailler les environs. Aussi bête que cela puisse être, ne rien faire est fatigant. Mon corps dans un mouvement répétitif a également eu cet effet, comme un bercement. Enfin, c'était sans compter sur les quelques obstacles et certains moments un peu trop brusques du cheval qui m'ont maintenue éveillée, merci à lui. L'observation et l'écoute ont toutes deux étaient des plus ennuyantes. Je n'ai rien appris. Absolument rien.

Le voyage aurait été moins pesant et m'aurait sûrement paru moins long si j'avais eu la chance d'avoir de la musique dans les oreilles. Qu'elle soit rock ou pop, qu'elle date des années soixante-dix ou de mon époque, j'aurais tout donné pour avoir ne serait-ce qu'une chanson. Ce n'est pas la même chose quand on utilise son cerveau pour essayer de se souvenir, à la perfection, d'une musique. On perd tant de choses, comme des sonorités ou les innombrables instruments qui se mettent en accord pour nous donner quelque chose de très rythmé... ou de très doux. Tout dépend de l'envie du moment. Là, je prendrais tout ce qui viendrait... Bon, peut-être pas tout non plus. Le métal et le rap, ce n'est vraiment pas pour moi. Pas faute d'avoir essayé.

Mes pensées se tournent vers toutes sortes de sujets. Des plus importants, comme maman, aux plus « banaux » comme lister la liste des acteurs ayant joué dans tel ou tel film. Tout ce qui peut distraire mon cerveau de ces lieux, ces personnes et cette aventure est le bienvenu. Mais je sais que je ne pourrais pas continuer comme ça longtemps. Mon esprit, bien que naïf sur les bords et avec quelques petits moments d'espoir que tout redevienne à la normale, se fait à l'idée que tout ceci est réel.