Faëra ▬ Tome ✯ © (Les 9 Royaumes)

Twenty One

La nuit a été courte. Pour eux en tout cas. Chacun s'est vu attribuer un tour de garde, en duo ou en trio. Tout le monde, sauf moi évidemment. Pourquoi donner une telle tâche à une princesse après tout ?

J'ai donc pu dormir, si on peut appeler ça « dormir ». Entre les migraines, les cauchemars et les crampes à l'estomac, je ne peux pas dire que j'ai réussi à passer une très bonne nuit. J'essaie de relativiser en me disant que je pourrais être morte à l'heure qu'il est si je n'avais pas eu autant de chance. Le mot est peut-être mal choisi, mais que puis-je utiliser d'autre ? Destin ? Est-ce que j'étais destinée à me retrouver ici et à me faire attaquer par une cinglée ? Est-ce que mes actes étaient déjà inscrits dans la pierre ou aurais-je pu éviter toute cette situation ?

Voilà que de bon matin, je m'essaie à la philosophie. Ce n'est sûrement pas une bonne idée maintenant que mon mal de tête me laisse un peu de répit. Autant éviter de le surcharger avec des questions qui ne trouveront pas de réponses.

Nous nous mettons en route peu après le lever du soleil, j'ai d'ailleurs droit à une inspection minutieuse de ma blessure avant de devoir remonter à cheval. Je ne cache pas ma réticence au vu des événements d'hier, mais voyant qu'il s'agit d'un autre cheval, j'arrive à passer outre. Robin est toujours à mes côtés et je ne perçois aucune inquiétude sur son visage ou dans celui de sa petite troupe. Je suis incapable de comprendre comment cela est possible, la peur habitant chaque parcelle de vie en moi. Cilhy est à mi-chemin entre Robin et moi. À la fois le regard soucieux et le sourire ravi. Tout devrait me faire croire que la suite sera sans trop d'embûches. Cependant, comment puis-je vraiment être calme après tout ça ?

Le temps. C'est le temps qui me permet de retrouver une tranquillité d'esprit. Il m'aura fallu trois ou quatre jours afin de me débarrasser de cette peur constante ainsi que pour retrouver l'usage de ma voix. À la suite à mes blessures, je n'ai pas eu la force de m'exprimer ou de partager mes interrogations auprès des autres. En partie, par manque d'envie aussi. Je crois, qu'au-delà de la chute, mon cerveau avait bien besoin d'une pause et de se mettre en arrêt. Une trop grande dose d'informations (ou d'émotions) et c'est la surchauffe assurée. Robin et John se sont souvent tracassés en me voyant aussi peu bavarde, ce qui est assez logique : il avait eu droit à une Elyne avec un moulin à paroles, pas étonnant qu'ils se soient posé des questions. J'ai prétexté la blessure à la tête afin de les rassurer, ce qui était d'ailleurs un gros morceau de la vérité.

Nous avons passé ces quatre derniers jours entre les forêts et prairies de Thanis avant d'arriver à l'immense lac que l'on m'avait mentionné. Nous sommes presque à la moitié du royaume. Dans quatre gros jours, nous quitterons Thanis pour Kaldos. Et je ne sais toujours rien du royaume dans lequel je me trouve. Je crois qu'il est temps de reprendre mes investigations, avec un sujet plus important que l'endroit où nous nous trouvons.

Au cours de la journée, je m'excuse auprès de mon fidèle protecteur avec la ferme intention d'apprendre à mieux connaître celui qui nous guide jusqu'à Merlin. Cilhy.  Depuis notre départ de Camelot, nous nous sommes à peine adressé la parole, ce qui peut sembler surprenant, car il a été le premier à manifester l'envie de m'aider. Je ne comprends pas pourquoi il est aussi distant avec moi. Est-ce en rapport avec ma mère ? Quels souvenirs a-t-il avec elle ?

« C'est une mission pour Elyne, plus détective que princesse ! » claironné-je en pensée.

Je me mets à sourire en dépassant quelques chevaliers. Heureusement qu'aucun d'eux ne peut lire dans mes pensées, parce que je peux dire énormément de conneries en très peu de temps. Je veux bien une couronne pour ce rôle-là. J'ai un certain mérite à débiter des bêtises, mais pas à être la fille d'un tel.