Chapitre 19 : Le reflet déformé

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Le visage pâle, Cyan suivit le comte d'Altan d'un pas mal assuré, son sang battant à tout rompre contre ses tempes. Les paroles de son Etoile Compagne tournoyaient frénétiquement dans sa tête et se heurtaient les unes les autres en une cacophonie incompréhensible et douloureuse dont le martèlement menaçait de fendre son crâne en deux.

— Nous ne sommes plus très loin, l'informa le comte d'Altan.

Une expression inquiète ternissait l'éclat de ses traits lumineux.

— Merci, marmonna Cyan d'une toute petite voix.

Il sentait dans sa bouche un afflux inquiétant de salive, prémices des premières nausées qui accompagnaient d'ordinaire ses maux de tête.

Lorsqu'il leva les yeux, fatigué, Cyan s'aperçut qu'ils n'avaient traversé le couloir que de quelques mètres et qu'ils se dirigeaient à présent vers les appartements de Son Insensible Altesse. L'espace d'un instant, il craignit de voir son guide s'arrêter devant les grandes portes ornées d'argent et de nacre et lui indiquer qu'il coucherait-là, en compagnie de son Etoile Compagne.

Son souffle se suspendit, puis Cyan poussa un léger soupir de soulagement lorsqu'il comprit que le jeune noble ne se dirigeait pas vers elles mais plutôt vers une petite porte discrète dissimulée non loin, derrière un rideau de lierre grimpant.

— Nous y voici, lui confirma le comte. Cette chambre a été conçue pour le valet d'Aoran, elle est donc attenante à ses appartements.

Cyan fronça les sourcils. Il n'aimait pas trop l'idée d'un accès communiquant entre son refuge et l'antre de Son Impitoyable Altesse et sans doute sa moue suspicieuse le trahît-elle, car son guide jugea préférable de préciser :

— Il me semble, cependant, que tu es le seul à pouvoir déverrouiller ce passage à ta guise.

— Je l'espère bien.

Une main sur la poignée de bois moulé, Cyan s'apprêtait à pénétrer dans la pièce, mu par le seul désir de s'isoler un peu et de profiter du confort d'un lit douillet et de coussins moelleux – car le sommeil, à cet instant, lui semblait être l'unique remède à tous ces maux – quand la main de son guide l'empêcha d'actionner la clenche.

Cyan se retourna vers lui et recula vivement, surpris. Tout près de lui – trop près de lui, en vérité – le visage du comte d'Altan se rapprochait du sien et ses lèvres frôlèrent son oreille lorsqu'il lui chuchota :

— Si jamais tu souhaites partir d'ici et fuir tout ça, dis-le-moi. Je veillerai à t'y aider.

Incapable de réfléchir tant la douleur lui vrillait les nerfs, Cyan se contenta de fermer les paupières et de murmurer :

— Pourquoi feriez-vous cela pour moi ?

Sur la poignée, sa main tremblait.

— Pourquoi ? répéta pensivement le noble. Sans doute parce qu'Aoran aimerait te le proposer lui-même mais qu'il ne peut pas pour les raisons que tu connais déjà. Alors je me substitue à lui.

Cyan échappa un petit rire désabusé qui se réduisit à un souffle.

— Je ne suis pas certain qu'il apprécie de vous voir vous immiscer dans ses affaires.

— C'est même une certitude, reconnut le comte avec un sourire. Mais les amis sont là pour ça. Et Aoran n'a guère que moi sur qui compter.

Cyan se mordit la lèvre, incertain. Il aurait voulu cesser de penser, accepter sans plus tergiverser et tout abandonner. Il aurait voulu saisir cette main qu'on lui tendait, cette aide providentielle que les Dieux, enfin, lui envoyaient et se laisser guider sans plus se soucier des complots et des dangers qui le guettaient. Mais...

Etoile Noire - Tome  1 : Les Disparus de ResnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant