Chapitre 41 : Fruit macabre

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Une douce chaleur l'enveloppait tout entier, comme un océan de coton dont les profondeurs se refermeraient sur lui, engloutissant sa fatigue tout autant que ses soucis. Il se laissait sombrer sans chercher à résister, emporté bien malgré lui par cette langueur irrésistible qui l'empêchait de réfléchir, ses sens émoussés par l'odeur familière de sauge et de menthe qui l'assaillait par bouffées.

Il se sentait bien, ainsi. Reposé. En sécurité. À l'abri de tout danger.

Puis soudain, l'écho d'un cri lointain résonna jusqu'à lui. D'abord ténu, il semblait surgir de partout et nulle part à la fois mais, à mesure qu'il s'intensifiait, Cyan ne fut bientôt plus en mesure de l'ignorer, de l'empêcher de pénétrer ce sanctuaire de paix où il s'était réfugié.

Il était trop tard. La réalité le rattrapait.

Le brouillard de son esprit se délita et Cyan papillonna des paupières, émergeant du sommeil réparateur auquel il s'était brièvement abandonné. Ses prunelles glissèrent de droite à gauche, incapable de discerner davantage que des contours flous et singuliers qui le plongèrent dans la confusion la plus totale. Puis il se rappela sa présence dans le fiacre, au côté de son Etoile Compagne et chaque centimètre carré de son corps s'éveilla totalement, outrageusement conscient de sa proximité avec le prince, de son bras passé autour de ses épaules, de la tendresse de son étreinte, du parfum de sa peau...

Oh bon sang !

— Votre Altesse !

La voix !

Au même instant, un jeune adolescent se jetait presque à l'assaut de la fenêtre ouverte de la portière et s'écriait, plus qu'à demi-essoufflé :

— Venez vite ! Les chasseurs... ! Les chasseurs ont... ! Ils ont trouvé... !

Cyan s'écarta d'un bond de son Etoile Compagne et instaura entre elle et lui une distance que Mariza elle-même aurait jugé excessivement convenable mais peu importait ! Son cœur palpitait si vite dans sa poitrine qu'il menaçait de s'extraire de sa cage thoracique et le sang qu'il charriait à chaque battement semblait résolu à lui monter à la tête, empourprant son visage.

Le garçon les avait-il vus ?

Mais le jeune domestique ne lui jeta pas même un regard, son attention entièrement dévolue à son seigneur dont le ton, alors qu'il lui répondait, trahissait une pointe d'irritation.

— Allons bon ! Respire et dis-moi ce qu'il se passe.

Le petit serviteur obtempéra et Cyan en profita pour regagner le contrôle de son propre corps, calquant le rythme de sa respiration sur celle de Linling, toujours endormie sur ses genoux. Puis le garçon inspira profondément et déclara d'une voix qui tremblait encore un peu :

— 'Faut que vous veniez vite, Votre Altesse ! Les chasseurs... ils ont trouvé quelque chose de terrible !

Malgré sa maîtrise excessive, Son Impassible Altesse se raidit, les muscles tendus et les sens aux aguets, à l'affût du danger.

— Qu'ont-ils trouvé ? demanda-t-elle, méfiante.

Le jeune domestique blêmit encore davantage si c'était possible et répondit, la gorge nouée :

— Un corps, Votre Altesse...

À ces mots, les doigts du prince tressaillirent légèrement sur ses cuisses mais il s'agissait-là du seul et unique signe qu'il révéla de son trouble car son visage, lui, demeurait impassible.

— Montre-moi, ordonna-t-il au garçon.

Et comme il descendait du fiacre afin de suivre l'adolescent, Cyan s'empressa de l'imiter, les dents serrées pour ne pas exprimer la douleur qui lui tirailla les côtes à ce geste.

Etoile Noire - Tome  1 : Les Disparus de ResnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant