Etoile Noire - Tome 1 : Les Disparus de Resna

Chapitre 28 : Crimes et châtiments

Comme à son habitude, Cyan ne s'embarrassa d'aucune notion de protocole ou de bienséance lorsqu'il pénétra de son pas satisfait et volontaire dans le bureau de son Etoile Compagne. Et comme à son habitude, Son Imperturbable Altesse ne s'ennuya pas à lever les yeux de sa lecture pour saluer son entrée au contraire de Linling, confortablement assise sur ses genoux, les joues aussi rondes que celles d'un écureuil en plein festin tandis qu'elle s'empiffrait de biscuits à la cannelle.

Son regard brun croisa le sien un bref instant. Instant durant lequel la fillette s'empressa d'avaler son énorme bouchée, manquant de s'étouffer avec. D'une main compatissante, Son Impériale Altesse lui tendit une tasse de thé d'où s'élevait encore un mince filet de vapeur citronné, visiblement habituée, à en juger par son comportement détaché, à la tirer de ce genre de mauvais pas gastronomique.

Linling accepta l'offrande de bonne grâce et but plusieurs longues gorgées de la boisson salvatrice tandis que derrière elle, le prince levait enfin la tête vers Cyan et lui lançait, narquois :

— Tu envoies Linling accomplir tes tâches, à présent ?

Cyan croisa les bras sur sa poitrine, un sourire au coin des lèvres.

— Je parlerais plutôt d'un échange de bons procédés.

— Et de quels bons procédés parles-tu, au juste ?

Pour toute réponse, Cyan haussa les épaules. Puis, devant le regard suspicieux que lui renvoya son Etoile Compagne, il ajouta :

— Bof, trois fois rien. Un jeu d'enfant, tout au plus.

Et sur ces mots énigmatiques, il avança en direction du bureau où s'entassaient, par ordre de priorité, registres de comptes et inventaires auxquels se mêlaient une nuée de feuilles volantes et de rapports au contenu indistinct. Par commodité, le prince en avait repoussé une partie à l'extrême bord de sa table de travail afin de dégager suffisamment d'espace pour y installer le chargement de thé et de gâteaux de Linling sans risquer quelque regrettable accident domestique.

Cyan glissa un œil en direction de l'assiette de mignardises et s'empara du dernier biscuit in-extremis, non sans asséner au passage une petite tape contre la main chapardeuse de Linling.

— Devrais-je proposer de vous servir votre collation ? s'enquit Cyan d'un ton ironique.

Le prince se redressa une seconde fois, jeta un bref regard à la théière d'eau encore chaude – un miracle entièrement dû à la présence d'esprit de Johana qui avait pris l'habitude de ne confier à Cyan qu'une théière d'eau brûlante, s'assurant ainsi qu'elle parviendrait à température parfaite entre les mains de son seigneur – puis glissa vers le pot de feuilles de thé séchées.

Sans doute se rappela-t-il l'horrible breuvage que lui avait servi Cyan quelques jours plus tôt – une infusion tellement amère qu'elle s'en était trouvé imbuvable – car il refusa d'un négligent mouvement de la main.

De son côté, Linling, gavée de biscuits jusqu'à l'écoeurement, commençait à s'agiter de manière imprudente, cherchant à descendre des genoux de Sa Flegmatique Altesse. Se faisant, elle heurta l'une des piles de papiers disposées près de son bras et ne réagit pas assez vite pour l'empêcher de chanceler puis de s'effondrer sur les tapis en un fracas soyeux et désordonné.

Cyan contempla le carnage avec consternation tandis que le prince soulevait Linling de ses genoux pour la déposer à terre avec douceur. La fillette en profita pour traverser la pièce et rejoindre le fauteuil placé près de l'âtre de la cheminée.

— Dis-donc ! s'agaça Cyan, sourcils froncés. Tu pourrais aider à nettoyer tes bêtises au lieu de t'enfuir comme si cela ne te concernait pas !