Chapitre 26 : Le mystère Cyan

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Le matin s'installait à peine sur les terres verdoyantes qui bordaient Resna et s'étendaient à perte de vue jusqu'à l'horizon. Entre les nuages gris et bas annonciateurs de pluie, la lumière des soleils baignait les fenêtres aux volets ouverts de l'immense château seigneurial dont les couloirs grouillaient de vie depuis déjà plus de deux heures.

Installé à son bureau, Aoran profitait des timides rayons d'Ezarii et Osorii pour consulter le registre des finances de son domaine d'un œil critique tandis que, debout face à lui, sa fidèle intendante achevait de lui résumer les diverses dépenses impromptues qu'elle avait dû engager afin de maintenir la bonne tenue de la demeure.

— Les réfections dont tu me parles sont-elles toutes achevées ? s'enquit-il sans lever les yeux de sa lecture.

Peu de seigneurs prenaient la peine de vérifier eux-même les comptes de leur maisonnée, préférant confier cette tâche hautement ennuyeuse et rébarbative au soin de leur secrétaire ou d'un clerc de confiance. Aoran, lui, ne fonctionnait pas ainsi. Si, lors de ses absences, il confiait volontiers cette tâche à Mariza dont il reconnaissait les talents plus qu'éprouvés en matière de gestion, il ne manquait jamais de reprendre les choses en mains une fois de retour sur son domaine.

Il avait appris, au contact de son précepteur de mathématique et d'arithmétique – un doux rêveur, insouciant et intelligent, débordant d'enthousiasme et de naïveté mais nullement préparé à affronter les dangers déguisés d'une cour viciée, gangrenée par la jalousie, la convoitise et l'ambition – combien les chiffres recelaient de vérités. Des vérités qu'aucune falsification ne saurait jamais travestir, surtout pas à un regard averti.

Les chiffres chantaient. Il suffisait de les écouter, de les appréhender comme l'ensemble d'un chœur, comme un chant à voix multiple pour réussir à discerner la moindre dissonance.

Aoran avait appris à tendre l'oreille.

Alors, quand il se rappelait ce que son jeune professeur s'amusait à lui dire, que même les meilleurs Dominii n'étaient pas capable de lire l'avenir aussi bien qu'un comptable à l'aide de ses registres, il le croyait volontiers.

— Les plus urgentes, oui, assura-t-elle. Cependant, le dernier orage à quelque peu abîmé la toiture de l'aile Est. Le couvreur m'a affirmé qu'elle devrait tenir jusqu'à la fin de la mauvaise saison mais que son état ne cessera d'empirer à chaque nouvelle tempête. Je crains qu'il ne faille la rénover d'urgence dès le début des beaux jours.

— Soit, contacte ce couvreur et demande lui un devis. Je m'assurerai de dégager la somme nécessaire. Autre chose ?

À cette question, Mariza s'éloigna de la porte de quelques pas supplémentaires et baissa la voix pour lui confier :

— Durant votre absence, plusieurs secousses ont traversé Resna. Certes, rien de bien inhabituel mais leur fréquence ne nous a pas laissé le moindre repos durant près d'un mois. Je crains les conséquences qu'elles ont pu avoir sur le château et... le reste.

Aoran fronça les sourcils. À l'instar de Nébula, sa voisine, Resna se situait non loin des frontières des Terres Cendrées, là où, selon les légendes, se cachaient les êtres démoniaques contre lesquels l'Empereur Fondateur et leurs ancêtres s'étaient battus des siècles plus tôt. Et si Aoran doutait de l'existence tangible de ces démons d'un autre temps, il savait combien ces territoires sauvages et arides étaient propices aux tempêtes dévastatrices et aux tremblements de terre dont les répliques s'étendaient bien trop souvent jusqu'à eux.

Les habitants de Resna et des villages alentours, habitués à sentir de temps à autres la terre trembler sous leurs pieds et à voir les arbres ployer sous le vent, ne s'en souciaient guère plus. Ils se contentaient d'appliquer les règles de sécurité édictées par leur seigneur et s'enfermaient dans leur maison où ils attendaient que les éléments s'apaisassent. Néanmoins, Aoran avait entendu parlé de l'effondrement du quartier des artisans de Resna – reconstruit et agrandi depuis – plusieurs décennies auparavant, à la suite d'un tremblement de terre particulièrement virulent survenu en pleine nuit alors que personne ne s'y était préparé, aussi ne prenait-il pas la menace à la légère.

Etoile Noire - Tome  1 : Les Disparus de ResnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant