Etoile Noire - Tome 1 : Les Disparus de Resna

Chapitre 55 : La lettre de Rÿon

Osorii et Ezarii finissaient de quitter le confort de leur nid respectif quand Aoran termina enfin de transformer la table ronde qu'il utilisait d'ordinaire pour prendre son petit déjeuner en un bureau de fortune plus ou moins bien agencé. À l'aide de quelques uns de ses domestiques, il avait rassemblé et réorganisé la montagne de dossiers, de rapports et de courriers que leur intrus s'était amusé à piller la nuit dernière et que le vent avait achevé d'éparpiller selon son gré. Il les avait ensuite transférés dans le petit salon de ses appartements privés où, par commodité, il avait décidé de se retrancher, avant de s'affairer à aménager un petit espace de travail provisoire qui lui permettrait de continuer à administrer ses affaires courantes sans délais.

Toutefois, malgré tout ses arrangements, il perdait encore un temps fou à rechercher certains documents égarés ou mal classés, si bien qu'il finissait souvent par farfouiller parmi les registres et les liasses non traitées qu'il avait été obligés d'entasser sur les chaises autour de lui, faute de tiroirs ou de rangements plus appropriés où les stocker. Il était occupé à compulser pour la cinquième fois l'une desdites piles quand trois coups brefs résonnèrent contre sa porte.

— Entrez, ordonna-t-il avant de soupirer.

Il ne trouvait pas ce qu'il désirait.

Lorsqu'il releva les yeux, Mariza plongeait dans une légère révérence, les mains croisées sur le devant de son tablier. Entre ses doigts, un pli de parchemin scellé formait une tâche de couleur crème sur le blanc du vêtement.

— Votre Altesse, le salua-t-elle en se redressant. Un messager du comte d'Altan est arrivé ce matin avec un courrier à votre attention.

Aoran repoussa les liasses de paperasses inutiles du revers du bras avant d'inviter son intendante à approcher d'un signe de la main. Mariza obéit. La lettre qu'elle lui tendit portait en effet le sceau à la martre de la famille d'Altan aussi s'en saisit-il avec intérêt, les sourcils froncés. Voilà près d'un mois qu'il attendait d'obtenir des nouvelles de l'enquête menée par son meilleur ami et à présent qu'il en recevait, il brûlait d'en prendre connaissance, espérant y découvrir un élément déterminant concernant les disparitions d'enfants dont il soupçonnait les instigateurs de l'émeute d'être responsables. Toutefois, il reporta sa lecture à plus tard ; un sujet plus important, plus obsédant, l'empêchait de se concentrer sur son travail. Il devait apaiser son inquiétude avant tout autre chose. Aussi déposa-t-il simplement le pli sur lat able sans même l'ouvrir et demanda-t-il à Mariza :

— Comment va Cyan ?

L'intendante pinça les lèvres, les traits dénués d'expression.

— Il dort dans les cuisines. Johana m'a assurée que ça ne la dérangeait pas alors j'ai laissé faire. Il a passé plus d'une heure à nettoyer sa chambre en refusant toute l'aide que je lui ai proposé alors je suppose qu'il a bien mérité que je lui octroie un peu de tranquillité.

Aoran dissimula un sourire amusé derrière ses mains entrecroisées. Son ancienne gouvernante évoquait la situation comme si celle-ci la dérangeait mais il voyait bien, à la lueur chagrinée de son regard, qu'elle se souciait du bien-être de son Etoile Compagne. Car, même si elle s'agaçait souvent de la flemmardise du jeune homme et ne manquait jamais de le harceler au sujet de ses devoirs de valet, elle lui était reconnaissante d'avoir sauvé Linling et d'avoir apporté une touche de chaleur à leur foyer. Seulement, elle s'ingéniait à ne pas le montrer, préférant dissimuler ses véritables sentiments sous une épaisse couche de froideur et d'austérité.

Il la connaissait trop bien, cependant, pour ne pas déceler l'affection qu'elle réservait à Cyan désormais.

— Garde un œil sur lui, s'il te plaît, la pria-t-il avec gravité. Il a beaucoup traversé ces derniers temps et même s'il n'en montre rien, je ne suis pas assez insensible pour penser que cela ne l'affecte pas.