Chapitre 56 : Le pèlerin, la bergère et...

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Harfleur, les yeux cernés et les joues couvertes de chaume, les accueillit dans son bureau avec une affabilité teintée de fatigue qui trahissait les nombreuses heures sans sommeil qu'il avait passées à coordonner ses troupes, organiser les arrestations, mener les interrogatoires, compulser les rapports et réfléchir à l'affaire. D'un geste de la main, il les invita à prendre place parmi les confortables fauteuils à accoudoir disposés près de la cheminée et, une fois installé, leur proposa de prendre du thé.

Cyan accepta, les doigts gelés. Malgré la flambée qui crépitait dans l'âtre et baignait leur petit coin d'une agréable chaleur, l'immense bureau peinait à dépasser la douzaine de degrés et il leur suffisait de soupirer pour générer un petit nuage de vapeur d'entre leurs lèvres. Du regard, il invita Eli à les rejoindre mais le jeune soldat déclina d'un bref mouvement de la tête et préféra rester près de la porte, les bras dans le dos et l'expression concentrée, image même de la sentinelle silencieuse.

— J'aurais aimé vous apprendre que notre homme s'est présenté à l'un des points de contrôle de la ville et a été arrêté, soupira le bailli en leur versant le thé. Malheureusement, ce serait vous mentir.

— Il est beaucoup trop malin pour ça, se désola Son Impériale Altesse, paupières closes. Il a réussi à nous échapper alors même qu'il était blessé. Je ne pense pas qu'il se laissera attraper si facilement.

Harfleur acquiesça à l'évidence puis tourna le feu de son regard sur Cyan qui se réfugia aussitôt derrière son thé, les yeux baissés sur sa tasse.

— Pourriez-vous me raconter ce qui est arrivé cette nuit ? lui demanda l'officier. Le messager de Son Altesse ne m'a fait qu'un rapport fort succinct de l'accident et je pense qu'il me serait plus profitable d'en entendre les détails de votre bouche.

Cyan resserra les doigts sur la porcelaine, le dos traversé d'un frisson. Il ne ressentait que peu d'envie de replonger dans ses souvenirs de l'événement car chaque fois qu'il tentait d'y repenser, une vague d'angoisse irrépressible lui comprimait la poitrine. Il s'y efforça, cependant, conscient qu'il ne pourrait guère échapper à la corvée. Bien entendu, il ne confia rien de sa visite tardive à Son Impériale Altesse, ni de son réveil en sursaut sur le canapé de son bureau. Cela, il le garda pour lui, dissimulé dans les profondeurs de son cœur, là où reposait tous les précieux secrets qu'il désirait conserver loin des regards indiscrets. Il préféra lui resservir le même mensonge qu'à Eli, bien qu'il l'élabora davantage ; près de lui, assis dans le fauteuil à sa gauche, son Etoile Compagne ne fit pas mine de le corriger.

Face à lui, Harfleur écoutait attentivement. Il ne l'interrompit pas, ni ne montra le moindre signe d'incrédulité. Sans doute n'entendit-il pas le mensonge dans sa voix. Cyan l'espérait, en tout cas.

Le reste, cependant, il le relata comme il l'avait vécu, le souffle court, parfois, de devoir replonger en plein cauchemar. Entre ses mains, la brûlure de sa tasse peinait à chasser le froid qui l'habitait et, même alors que ses paumes transpiraient sous la chaleur, ses doigts demeuraient glacés.

À terme, il redirigea l'attention de son auditoire vers Son Impassible Altesse et lui abandonna le soin de conclure le récit de cette abominable aventure.

Après quelques secondes d'un silence songeur, Harfleur s'enquit :

— A-t-il dérobé quelque chose ?

Cyan réfléchit quelques secondes avant de répondre par la négative. Outre les vêtements offerts par les prêtres de Noctis et la livrée fort belle et fort neuve que Mariza lui avait fourni, il ne possédait pas grand-chose. Ses seuls trésors se résumaient à sa Réserve de bonheur, à la petite clé dorée qui lui assurait un accès illimitée à la bibliothèque du château et aux livres qu'il y avait empruntés. Or, rien de tout cela n'avait semblé intéresser son agresseur.

Etoile Noire - Tome  1 : Les Disparus de ResnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant