Chapitre 14

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Daichi est monté sur le chemin de ronde aux côtés des archers, afin de leur prodiguer quelques derniers encouragements et profiter d'une vue plongeante sur ses troupes.

Les armées de Karasuno sont soigneusement organisées en différents régiments, qui bordent la muraille du château ; les cavaliers sont alignés un peu plus loin. La discipline des soldats est remarquable, chacun composant une part de la formation de départ, droits et silencieux dans la clarté du matin. Ce serait un spectacle magnifique s'ils n'étaient pas littéralement dos au mur.

Ils attendent, tournés vers l'horizon, vers le nord d'où viendra l'ennemi. Devant eux s'étale un paysage de plaine, où l'herbe verdoyante se courbe sous le souffle d'un vent frais. Les yeux des hommes, sous leurs casques, sont fixes, rivés vers le lointain, attendant le mouvement qui ne devrait plus tarder. La tension est palpable ; elle pèse de tout son poids sur les corps immobiles.

Le son d'un cor déchire l'air.

Au loin, une masse informe et mouvante apparaît, grossit, s'étale, se déverse sur la plaine. Hinata serre son épée, prêt à dégainer quoiqu'étant encore bien loin des troupes d'Aoba, mais celles-ci ne semblent jamais ralentir, menées par la cavalerie, puis des hommes à pied, comme eux, mêlant archers et fantassins ; et enfin, derrière, des bâtiments sur roues, des tours de sièges, des catapultes, des onagres, tout ce que la poliorcétique a à offrir. A leur suite, toute un convoi de charrettes amène le nécessaire pour tenir aussi longtemps qu'il faudra, et, probablement, tout le butin pris dans leur avancée vers le château.

Les chevaliers frissonnent devant l'immense armée. Quelles faibles chances ont-ils ? Quelques regards furtifs se retournent sur les murailles, hautes, protectrices, mais en dehors desquelles ils se trouvent. Tout en haut, les archers aux yeux perçants analysent la répartition de l'ennemi, leur nombre, leur portée par rapport à eux. Quelques hommes d'aide descendent rejoindre les dirigeants militaires en bas pour leur communiquer leurs informations.

L'armée d'Aoba s'est arrêtée, et pendant de longs instants, les deux royaumes se font face, s'observent mutuellement, se jaugent de loin. Un instant, l'espoir naît qu'Oikawa ne va pas attaquer immédiatement, et qu'il va peut-être attendre l'appui d'Atsumu pour tenter quelque chose ; mais bientôt, les cavaliers d'Aoba s'élancent, ceux de Karasuno les imitent, et cette idée est réduite à néant.

Les soldats et archers ne peuvent qu'observer de loin le choc des chevaux, des lances et des écus, qui se rencontrent dans un fracas d'armure, de cris et de hennissements. Les hommes volent, les éclats de bois explosent, les chevaux roulent à terre des deux côtés. Les cavaliers tombés se redressent sur leurs jambes et tirent leurs épées pour entamer un combat rapproché ; et alors la charge est lancée pour tous, et comme deux vagues humaines, les armées se précipitent l'une contre l'autre.

Hinata est au milieu des siens, et la course le grise, il se sent comme dépossédé au milieu de tous les autres soldats qui l'entourent, qui vont au même pas dans la même direction. Il ne réfléchit pas quand un cri collectif s'élève de la mêlée, et franchit naturellement ses lèvres ; et soudain, c'est la confusion la plus totale.

De toutes parts montent des cris d'hommes et les cliquetis des armes qui s'entrechoquent. Il brandit son bouclier de la main gauche, son épée de la droite, lance un vif regard circulaire autour de lui, prend toutes les informations possibles –qui sont les leurs ? qui sont les autres ? quand tout à coup un homme se jette sur lui. Il lève son bouclier juste à temps, mais le choc de la lame contre le bois et le métal lui remonte tout le bras et fait fléchir son coude. Il se lance dans le duel, pare, porte des coups, mais se sent comme ralenti, comme emmêlé dans ses mouvements, plus lourds et plus hésitants que d'habitude –la peur de la mort, qui peut surgir à tout instant, pèse sur ses gestes. Et par hasard un de ses coups porte, la pointe de son épée trouve une faille dans un creux de la cuirasse adverse, et l'homme s'écroule, portant une main gantée à son torse d'où jaillit le sang.

Memento Amari - IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant