Épilogue - Extra Tempora

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Le soir tombe. L'azur du ciel s'estompe, se mouchette d'étoiles infimes et lumineuses. La lune est pleine, et son disque répand une lueur blême sur le monde.

Le château de Karasuno se dresse dans sa plaine, massif, immobile et sombre en cette soirée d'hiver. Un vent froid s'engouffre entre les tours, entre les branches nues des jardins royaux, et les domestiques qui traversent les cours se hâtent de rejoindre la chaleur des bâtiments.

Hinata arpente le couloir des gardes d'un pas assuré, les mains glissées dans sa cuirasse pour se tenir chaud. Les torches rivées au mur font flamboyer ses cheveux, et les ombres mouvantes donnent de la profondeur à ses yeux sombres. Il repère trois jeunes soldats en train de jouer aux dés dans un recoin et se dirige vers eux ; quand ils le reconnaissent, ils se lèvent de leurs tabourets avec respect :

-Bonsoir, capitaine.

Hinata leur adresse un léger sourire, et leur permet d'un geste de reprendre leurs places.

-Vous êtes encore en poste ? demande-t-il. Tokita, Shoji et Yaotome devaient vous relever avant le dîner.

-On les attend, capitaine, répond l'un d'eux. Ils ne devraient plus tarder.

Le chevalier hoche la tête avant de les laisser. Il termine sa ronde, puis, une fois sûr que tous ses hommes sont à leurs postes, il emprunte les escaliers principaux pour rallier la salle à manger. Celle-ci est bondée en cette heure, et les habitants du château se pressent sur les bancs, coudes contre coudes pour avoir une assiette ; les domestiques passent entre les rangées pour distribuer la vaisselle, apporter les carafes d'eau et de vins, parfois s'y mettent à plusieurs pour transporter les plats de consistance –porcs entiers rôtis à la peau luisante et au fumet appétissant, pain tout juste sorti du four à la mie fondante, ailes de poulet craquantes, légumes bariolés et sauces à outrance.

Hinata salue Yachi en traversant la salle ; la jeune fille, assise avec les autres guérisseurs, lui rend son signe ainsi qu'un large sourire, repoussant ses longs cheveux blonds derrière son épaule. Le chevalier prend place en bout de table, avec quelques autres gradés, parmi lesquels Tanaka qui s'empresse de lui raconter l'entraînement de la journée.

Tout en l'écoutant d'une oreille, Hinata fait courir son regard sur l'estrade royale. Le roi Daichi siège au centre, à sa place habituelle, et découpe sa viande en discutant avec Azumane, assis à sa droite ; le fauteuil à sa gauche demeure vide, et le restera jusqu'à l'avènement d'un nouveau roi –et d'un nouveau consort. Les membres les plus éminents de sa cour ornent sa table, ministres et invités de haut rang, discutant entre eux des derniers accords conclus avec succès.

Au bout de cette table se trouve le prince, Chikara, presque un adolescent à présent, et un autre enfant arrivé au château récemment. Hinata ne le connaît pas, et beaucoup de rumeurs l'entourent –pour être ainsi gratifié d'une place à la tablée royale, il doit être issu de quelque lignée prestigieuse... Mais le chevalier a croisé une fois son regard, et a eu l'étrange intuition que ce regard d'un bleu profond lui était familier. Il le regarde un moment discuter avec le prince, puis se décide à répondre à Tanaka.

Il est au milieu de son repas quand la musique d'ambiance que jouait un petit orchestre arrive à son terme. Les regards se tournent, les cous se dévissent pour apercevoir un ménestrel faire son entrée ; c'est un personnage vêtu de soieries chatoyantes, un luth sous le bras, et il salue l'assistance d'une profonde révérence avant de s'avancer vers le centre de la pièce. Les murmures se lèvent sur son passage :

-J'espère qu'il va chanter Le prince blanc !

-Non, je préfère Le mage aux mains d'or.

Memento Amari - IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant