Chapitre 30

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Deux semaines ont passé, et Hinata n'a pas relâché son entraînement un seul instant.

Les images qui traversent sa tête sont toujours les mêmes tandis qu'il pare, fend, taille, frappe, affrontant selon les jours ses camarades de Karasuno, les hommes de Nekoma ou ceux de Fukurodani. S'il veut battre le roi-démon, il doit devenir plus fort, s'entraîner sans relâche, apprendre autant que possible avant de partir vers la bataille finale. Cette fois, il ne laissera pas Oikawa détruire et tuer à tour de bras. Cette fois, il l'arrêtera.

Les longues heures passées dans la cour d'entraînement ont aussi pour avantage de l'empêcher de trop penser. Sans cesse les mêmes questions reviennent, et jamais il n'a de réponses à leur donner, pas même un indice. Qui est vraiment Kageyama, pourquoi est-il enfermé, quand sortira-t-il ? Pourquoi Oikawa s'est-il acharné sur lui ? Et, à une moindre mesure... une fois tout mis au clair, pourraient-ils entamer une liaison amoureuse ?

Hinata est moins sûr sur ce dernier point. Il n'est pas tellement certain de ses sentiments, tant tout ce qui entoure Kageyama est noyé d'incertitude ; peut-il vraiment être épris d'un homme dont l'identité est encore douteuse ? Et n'est-ce qu'un faible, qu'un intérêt éphémère, ou les fondements d'une passion plus profonde et plus durable ?

Tout vacille le quinzième jour après la bataille, lorsque, traversant la cour de bonne heure pour se rendre aux cuisines, il lève distraitement les yeux vers la muraille et aperçoit une silhouette qu'il ne peut méprendre pour aucune autre. Tobio se trouve là, à sa place habituelle, au même endroit où Hinata l'a vu quitter Karasuno. Il ne peut s'empêcher de se précipiter vers les marches pour le rejoindre, ayant peine à croire qu'il soit enfin en liberté.

-Kageyama, appelle-t-il dès qu'il parvient sur le chemin de garde.

C'est bien le capitaine des archers qui se tient là, vêtu de sa traditionnelle tunique noire. La cape qu'il porte témoigne qu'il n'a pas été dégradé, et Hinata en conçoit un immense soulagement ; c'est qu'il a encore la confiance de Karasuno... Il a l'air distant, les mains posées à plat sur la muraille, le regard lointain, quelques mèches laissées au vent, mais il se tourne tout de même vers le chevalier avec l'ombre d'un sourire :

-Hinata.

En temps normal, Shouyou lui aurait sauté dans les bras, mais craint que cela ne crée davantage de malaise entre eux tant que les choses ne sont pas résolues.

-Qu'est-ce que tu fais ici ? Ils t'ont laissé sortir ?

Des milliers de questions s'agglutinent à ses lèvres, et il les retient avec peine, rivant ses yeux à ceux de l'archer. Il est accueilli par ce bleu profond et impénétrable qu'il connaît bien, sombre et majestueux –deux océans limpides, et il se demande pour la énième fois ce qu'ils ont bien pu voir.

-Oui, répond simplement Kageyama, puis, calmement : c'est ici que le consort venait me retrouver, d'habitude.

Hinata comprend soudain ce qu'il fait là.

Son deuil.

Lui n'a pas pu assister à la veillée dans la chapelle, ou à peine, non plus aux funérailles. La dernière image qu'il doit garder de Suga n'est pas celle du défunt paisible, allongé en grande pompe au milieu de fleurs noires ; c'est celle d'un cadavre ensanglanté, brisé dans la poussière, exposé sur l'autel. Hinata sait que Tobio appréciait la compagnie du consort qui l'avait pris sous son aile, et il pouvait aisément entendre la reconnaissance et l'admiration dans sa voix chaque fois qu'il parlait de lui. Dire adieu lui sera en conséquence doublement plus difficile que pour les autres soldats...

-Il m'a sauvé la vie, murmure l'archer.

La commissure de ses lèvres se contracte, ses sourcils se froncent imperceptiblement, et il dirige de nouveau vers l'horizon un regard empli de doutes et de peine :

Memento Amari - IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant