Chapitre 15

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Sugawara a passé les pires heures de son existence.

Toute la durée de la bataille, il s'est trouvé confiné dans la tour royale avec les femmes et les enfants, les inaptes et les vieillards du château. Il a d'abord essayé d'apaiser tout le monde, allant d'un groupe à l'autre pour rassurer du mieux qu'il pouvait ; mais les heures s'étaient étirées, longues et interminables, et le brouhaha qu'ils entendaient au-dehors ne leur donnait aucune indication sur le déroulement des combats.

Il était donc resté sur son siège, droit et pâle, Chikara sur les genoux ; le bambin, trop jeune pour comprendre, n'avait pas tardé à s'assoupir contre sa poitrine, et il l'avait alors bercé doucement, sans cesser d'être aux aguets pour percevoir n'importe quelle information sur ce qui se passait hors des murs. C'était à lui d'être le plus calme, il le savait bien, en tant que plus haut représentant du royaume dans cette pièce, et il avait fait de son mieux pour ne rien laisser paraître de son angoisse.

Il pensait à tous les soldats inexpérimentés, jetés dans la bataille, à Tanaka, à Nishinoya, à Hinata, tous ces jeunes hommes qu'il a vu grandir depuis son arrivée au château, toujours si polis et accueillants envers lui. Et Tobio, là-dedans, forcé d'affronter ceux qui étaient les siens pas si longtemps auparavant, verra-t-il dans la bataille certains de ceux qui ont eu une influence déterminante sur sa vie, apercevra-t-il, peut-être, Oikawa en personne ? Et Azumane, un des plus proches amis du consort, lui aussi aux premières lignes, saura-t-il affronter ses peurs, et comment pourra-t-il vivre avec la pensée de n'avoir pas réussi à sauver tous ses soldats ?

Et surtout, Daichi. Le roi a promis à Suga de ne pas s'exposer, de rester hors de la mêlée et de préférer la sécurité des remparts, aux côtés des archers ; mais Aoba a de quoi les atteindre, leurs propres tireurs, des armes de siège, peut-être, et cela ne rassure nullement le consort. Il caresse d'une main distraite les cheveux de son fils, ses mèches sombres pareilles à celles du roi, priant en son for intérieur que son père soit sain et sauf.

A l'issue de longues heures d'attente et de pensées de plus en plus sombres, le vacarme au-dehors semble soudain baisser en intensité, et seule résonne une longue note étouffée.

-C'est le cor de la retraite ! s'écrie quelqu'un. Aoba cesse l'attaque !

Au même instant, la porte s'ouvre sur Daichi et quelques soldats. Le roi parcourt la pièce du regard, et ses yeux s'arrêtent sur Suga.

-L'armée ennemie nous a encerclés, dit-il gravement. Ils n'ont pas franchi nos murs... aujourd'hui. Notre seul espoir est à présent l'aide du roi Kuroo.

Il se passe une main lasse sur le visage.

-Nous avons perdu des hommes, et de nombreux sont parmi les blessés. Ils se sont tous battus avec vaillance. Tout ce qui nous reste à faire, désormais, est d'attendre et de soigner au mieux les blessures.

Cela marque la fin de leur claustration, et tout le monde se hâte de sortir, désireux de voir si leurs êtres chers sont sains et saufs. Seul Suga s'attarde ; il passe une main autour du cou de Daichi pour l'attirer contre lui, de l'autre tenant toujours Chikara, refermant cette étreinte autour de sa famille comme si elle pouvait les protéger tous les trois. Le roi et le consort ne disent rien, chacun savourant le bonheur de se retrouver après la bataille, de sentir contre lui le corps de l'autre après les heures de danger... et avant les suivantes.

Hinata assis contre un mur dans l'infirmerie surpeuplée, les genoux ramenés contre sa poitrine. A côté de lui se trouve un lit de fortune où l'on devine, sous une fine couverture blanche, le corps d'un homme endormi. Le chevalier est épuisé après la bataille de la matinée ; il n'a pas encore pu laver ses mains, encore toutes collantes de sang, et on voit que ses vêtements de tissu, à présent qu'il a ôté son armure, sont déchirés de traits nets à certains endroits. Son visage est égratigné, mais les blessures semblent toutes superficielles.

Memento Amari - IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant