Memento Amari - II

Chapitre 27

La période d'après-bataille est radicalement différente de la précédente.

A la place du silence et des mines angoissées qu'il avait connus au début du siège, le château semble avoir retrouvé son âme et son dynamisme. L'aile militaire, de plus en plus déserte alors que leur enfermement se prolongeait, est désormais remplie à craquer par les soldats de Nekoma et Fukurodani, au point que les officiers, lieutenants et divers gradés aient tous été déménagés dans un autre bâtiment. L'infirmerie, en ébullition dans les heures suivant la fin des combats, a retrouvé un calme relatif, mais reste bondée par les camarades venus visiter leurs amis blessés. Aux cuisines, les fourneaux sont de nouveau en action, et tous les soldats de Karasuno qui passent près des entrées s'arrêtent pour humer l'air avec délice dans l'attente du banquet du soir –enfin, ils vont pouvoir manger.

En attendant les festivités bien méritées du soir, la majorité des hommes ayant combattu prennent un peu de repos... ou essayent. Hinata est allongé dans son lit, mais est incapable de fermer les yeux sans revoir les scènes du matin, certain de ne jamais pouvoir les oublier, sachant qu'elles le hanteront jusqu'à la fin de sa vie. Il voit, entend, ressent comme s'il y était encore... Ses lèvres pressées contre celles de Kageyama, savourant ces quelques secondes –son premier baiser, son dernier, croyait-il alors. Puis la foule qui s'ouvre soudain, et le roi-démon apparaît, plus terrifiant qu'Hinata ne l'a jamais imaginé.

Le chevalier avait souvent essayé de se représenter Oikawa à partir du portrait qu'il avait vu, mais c'était bien loin de la réalité. Il était là, devant lui, tellement grand, superbe dans son armure blanche... et ses traits portaient une expression de haine qu'Hinata n'avait jamais vue alors, une colère dépassant tout sentiment humain. Et lui, qui s'était promis de venger Yamaguchi et ses amis, qui avait cent fois rêvé de ce face-à-face pour se jeter sur le roi-démon et le tuer de ses mains, qu'avait-il fait alors, à part rester figé de stupeur, englué par une peur telle qu'il n'en avait jamais connue ?

Le démon aurait pu tuer Kageyama sous ses yeux sans qu'il ne tente rien. C'était clairement ce qu'il voulait. Hinata revoit ce bras tendu vers l'archer, les doigts à demi-refermés comme s'il tenait lui-même sa gorge, et pourtant à quelques mètres encore, laissant la puissance de sa magie faire le travail pour lui. Le chevalier se souvient de l'indicible terreur qui s'était emparée de lui en voyant Tobio soulevé de terre par une force invisible, essayant de se débarrasser de cet étau sans pouvoir rien faire, trop faible pour lutter contre un démon. Hinata était juste à côté, avait entendu son souffle se précipiter, passer par saccades, puis s'arrêter complètement.

Et le consort. Ses yeux se mouillent quand il pense à lui. Comme les autres, il a poussé un hurlement en voyant le corps s'écraser contre la muraille et retomber au sol, inerte comme une poupée de chiffon, brisé en l'espace d'une seconde par les pouvoirs du roi-démon. Et si Fukurodani n'était pas intervenu, ils y seraient tous passés... Le roi-démon ne s'est pas attardé, laissant le cadavre du consort et Kageyama toujours au sol. Hinata s'est précipité sur l'archer dès qu'il avait disparu ; il l'a aidé à se relever, et si Tobio a eu besoin de plusieurs minutes pour reprendre sa respiration, il lui en a fallu davantage pour surmonter ce qui venait de se passer. Il a fini par s'éclipser après la bataille, lorsque le corps du consort a été emmené dans la chapelle.

Le chevalier, lui, n'a pas eu le courage d'aller voir le cadavre. Il est resté avec les guérisseurs, les aidant comme il pouvait malgré son état de choc, se faisant un devoir d'être là, avec eux qui avaient aussi vu toute la scène. Yachi tremblait tellement qu'elle dut s'asseoir un moment, incapable de prodiguer des soins dans son état. Puis Hinata a titubé jusqu'à sa chambre en espérant pouvoir dormir un peu, mais n'y arrive pas.