La dernière chose qu'a vue Oikawa avant de fermer les yeux était le visage de Kageyama, sale et en larmes, penché sur lui, articulant confusément des mots qui lui semblaient provenir de très loin, pardonne-moi, je t'aime, sa voix et son image de plus en plus floues tandis que les ténèbres envahissaient le monde.
Je te pardonne, songeait-il sans pouvoir le dire, je t'aime, n'oublie pas que je t'aime.
Il pourrait presque croire que les lèvres qu'il sent sur les siennes ne sont qu'une continuité de cet instant, suite d'un ultime baiser accordé avant d'embrasser la mort ; mais la douleur lancinante dans sa poitrine a disparu, les voix dans sa tête se sont tues, et il sent que quelque chose a changé, même s'il ne saurait dire quoi. L'herbe mouillée, le sol dur, l'odeur de la forêt sous la pluie, tout cela s'est volatilisé, remplacé par le confort et la chaleur d'un lit ; et quand il ouvre les yeux, le tableau qui l'accueille est à la fois similaire et différent de celui qu'il a vu l'instant d'avant.
Tobio le tient contre lui, assez près pour qu'Oikawa puisse distinguer chaque nuance du bleu sombre de ses yeux, chaque détail de son visage que la détresse a déserté. Que s'est-il passé ? Ce sont d'autres circonstances, il a été déplacé, mais où ? A-t-il été emmené pour être soigné ? Combien de temps est-il resté inconscient ? Et qui a gagné la guerre, puisqu'il est ici ?
-Bonjour, Tooru, lui murmure Kageyama.
Au fond, toutes ces questions n'ont pas d'importance. Tobio est là, avec lui, et c'est ce qui est le plus cher au roi, peu importe la confusion du reste. Dans tous les cas, peu importe ce qu'il s'est passé, ils sont ensemble. Et tout ce qu'a fait le roi ne tendait qu'à ce but.
Les yeux du monarque s'écarquillent légèrement quand il remarque la manière dont son mari est vêtu, étoffes précieuses de blanc et de turquoise, pierreries et bijoux, la tenue de consort traditionnelle qu'il a si souvent imaginé sur lui... Un instant, il se demande s'il est en train de rêver, si ses songes ont pris le dessus sur la réalité, s'il a trouvé un chemin jusqu'à un paradis malgré le sang qu'il a sur les mains. Il ne peut s'empêcher de le dévorer des yeux.
-Tobio, chuchote-t-il, s'efforçant de retrouver sa voix.
Kageyama s'attend à une foule d'interrogations de la part d'Oikawa, et se prépare à y répondre, contenant à peine son euphorie de le retrouver en chair et en os. Il doit être tellement perdu, se poser tellement de questions... Peut-être aussi sent-il qu'il est redevenu humain, a déjà compris ce que ça impliquait. Mais le roi se contente de poser des doigts tremblants contre sa joue, comme avant, et de dire tout bas :
-Tu es tellement magnifique.
Kageyama ne sait pas s'il veut éclater de rire ou fondre en larmes. Il n'a pas le temps de choisir qu'Oikawa passe ses bras autour de son cou et l'embrasse à nouveau, tendre et passionné, souriant contre ses lèvres ; Tobio répond au baiser avec autant d'ardeur, laissant le bonheur le consumer avec délice.
-Je te demande pardon, dit-il dans un souffle lorsque leurs lèvres se séparent brièvement.
Il ne laisse pas Oikawa répondre, il sait déjà ce qu'il va dire ; il replonge dans le baiser sans attendre, désireux d'en avoir plus après en avoir été privé si longtemps, savourant enfin le droit de l'aimer sans retenue. La dernière fois qu'ils se sont embrassés de la sorte, c'était dans la tente d'Oikawa, avant la bataille, et Tobio était alors convaincu que c'était la dernière fois, qu'il mourrait le lendemain –pour finalement voir le destin les confronter une fois de plus, l'emprise inéluctable de la magie sur son cou, ses propres flèches plantées dans la poitrine du roi.
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Memento Amari - II
FanfictionAlors que la guerre civile a éclaté à Inarizaki, Tobio doit faire ses propres choix. Rejoindre un mari qui l'a repoussé sans même lui donner ses raisons ? Trouver un nouveau foyer ? Ou rester fidèle à Osamu... Et s'exposer à la magie du prince-mage...