Chapitre 1

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Courir. Droit devant, sans regarder en arrière.

Les branches giflent ses joues alors qu'il traverse la forêt. Par-dessus le vent qui siffle à ses oreilles, il entend les craquements des brindilles sous ses pieds, son souffle haletant, et les voix, derrière lui, qui se rapprochent dangereusement. La végétation semble se resserrer autour de lui comme un tunnel ; il ne voit rien que le chemin ouvert devant lui, le reste réduit à des lueurs vertes éphémères et oppressantes.

D'une main, il maintient son arc sur son épaule ; le carquois vide rebondit dans son dos. Il ne sait pas où il va –l'important est de semer ceux qui le poursuivent, mais comment ? La seule issue est de courir, courir encore, courir toujours, le plus vite et le plus loin possible. Son souffle est rauque, désespéré, sa gorge le brûle ; sa peau est égratignée par ses chutes. Il sait qu'il est blessé, sent le sang chaud et gluant coller ses vêtements à sa peau, mais la hâte de la course et les poussées d'adrénaline ne lui font pas encore appréhender la douleur.

Une flèche file à côté de lui, manque de peu son bras et se fiche dans un tronc. Les plumes noires de l'empennage frémissent quand il passe devant sans cesser de courir, et il entend tout de même, dans son dos :

-Ne le tuez pas ! Le prince le veut vivant !

-Alors on n'a qu'à lui tirer dans les jambes !

Cette phrase, qu'il perçoit bien trop proche, semble le pousser au-delà de ses limites. Pendant quelques secondes, il consume ce qui lui reste de forces pour se propulser vers l'avant ; mais il est blessé, seul face à plusieurs, et il sait que sa fuite est vouée à l'échec.

Il s'arrête, reprend son souffle. Il jette un regard circulaire autour de lui, ne voyant pas encore ses poursuivants dans l'épaisseur de la forêt, quoiqu'il entende toujours leurs voix. Il lève les yeux : les arbres sont immenses, et la canopée étouffe presque complètement les rayons du soleil. Il lui reste un dernier recours, un dernier espoir : grimper, grimper le plus haut possible, jusqu'à ce que les feuillages le dissimulent et que ses poursuivants le perdent... Et ensuite ?

Mais il n'y a pas de temps pour penser à la suite, les pas et les voix se rapprochent. Il pose ses mains de part et d'autre du tronc large et rugueux d'un arbre immense, et commence son ascension. Ses paumes s'écorchent sur l'écorce, des échardes se glissent sous sa peau ; plusieurs fois ses bottes dérapent sur la mousse qui couvre l'arbre par endroits, et atteindre les branchages facilite considérablement la montée.

Il repère une branche, large et solide, idéale pour se dissimuler ; il rampe jusqu'au nœud où elle se divise, et se tapit là, à plat ventre. A présent qu'il est immobile, la douleur se décuple, semble ronger son flanc gauche ; il risque un œil, aperçoit le tissu déchiré de sa tunique, révélant une large coupure. Tout autour, le vêtement est gorgé d'un sang foncé, mais qui semble avoir cessé de se répandre ; la crainte de l'infection supplante celle d'être grièvement blessé.

Ses poursuivants sont juste en-dessous de l'arbre, et ont cessé de courir, eux aussi. Il entend leurs pas lents, leurs souffles pantelants, eux aussi éprouvés par la chasse.

-Où est-il ? On l'a perdu ?

-Il vaudrait mieux pour nous qu'on le retrouve. Je n'ai pas envie de dire au prince qu'on l'a laissé s'échapper.

-Et pourquoi il le veut, le prince Atsumu ? C'est qui, cet archer ?

-Kageyama Tobio. C'est le messager du royaume d'Aoba Johsai.

Les mains ensanglantées de Tobio se contractent autour de la branche ; il se penche légèrement pour apercevoir quatre hommes au pied de l'arbre. Ils sont vêtus de noir et d'or, les couleurs d'Atsumu ; deux d'entre eux ont une épée au côté, les deux autres portent un arc. Ils étaient plus nombreux lorsqu'ils ont commencé à le poursuivre, une dizaine ; mais il n'a pas réussi à tous les semer, ralenti par la blessure et sa méconnaissance du terrain.

Memento Amari - IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant