Il est rare de voir Nishinoya calme, et lorsque Hinata le remarque, assis d'un air morose sur la pierre de décompte –désormais à vingt-deux-, il comprend à quel point la situation est exceptionnelle.
-Noya ? l'appelle-t-il précautionneusement. Qu'est-ce que tu fais ?
-Il y a quelque chose à faire, Shouyou ? répond le chevalier avec un demi-sourire sans joie.
Hinata hésite un peu avant de répondre. Nishinoya a toujours été un jeune homme dynamique, avec un trop-plein d'énergie qui exaspérait parfois les plus vieux et un franc-parler qui en dérangeait plus d'un ; mais il a toujours été là pour soutenir Hinata, surtout après la mort de Yamaguchi, et le jeune chevalier ne peut le laisser déprimer sans tenter quelque chose :
-Tu veux venir voir les pièges avec moi ? demande-t-il en se composant une expression enthousiaste.
Ils finissent par y aller, et la discussion s'anime, tirant un peu Nishinoya de sa lassitude. Ils ont le plaisir de trouver un gros rat pris dans un de leurs pièges, soigneusement dissimulé pour qu'aucun autre habitant du château ne puisse leur voler leurs prises, et se hâtent de préparer un feu et une broche.
-Dis, Shouyou, dit tout à coup Nishinoya. Est-ce que tu penses à ta famille ?
Hinata hausse les sourcils, surpris. Oui, bien sûr, il a toujours eu une famille très soudée, et a pensé à eux chaque jour depuis son arrivée au château, impatient d'avoir une permission pour aller les voir. Il a toujours été proche de ses parents, et plus encore de sa petite sœur, Natsu, qui lui ressemble beaucoup.
-Je vivais avec mon grand-père, poursuit le chevalier. Je suis rentré dans l'armée... parce que c'était vraiment la classe, bien sûr, mais aussi pour lui envoyer de l'argent. Si on meurt bientôt, je ne sais pas ce qu'il va faire. Et d'ailleurs, je ne sais même pas s'il est encore là, avec l'invasion d'Aoba...
Cette pensée vient glacer Hinata. Oui, il n'a aucune garantie sur la sécurité de sa famille à présent qu'Aoba occupe le territoire de Karasuno ; se sont-ils contentés de piller les villages, de réquisitionner ce dont ils avaient besoin ? Ou ont-ils cédé aux pulsions de guerre, tout mis à feu et à sang, tué les hommes et violé les femmes ? Il secoue la tête pour chasser tout cela, désireux d'oublier cette possibilité, trop horrible pour pouvoir prendre forme.
Il se souvient alors des réactions de Kageyama chaque fois qu'on évoque Aoba et qui, malgré son exil, continue à respecter profondément les dirigeants de ce royaume. Il s'occupe soigneusement d'Iwa izumi, a remarqué Hinata, lui apporte souvent à manger ; et il semble assez sensible quant à ce qu'on dit sur le roi, Oikawa, et ne manque pas de justifier à demi-mot les choix du roi-démon. C'est l'archétype du bon soldat, qui n'obéit pas seulement aux ordres, mais les comprend et les respecte, de même que ceux qui les ont énoncés.
Il aimerait croire en tout cela comme le fait l'archer. Mais il revoit la bataille, la violence des hommes d'Aoba, la mort de Yamaguchi et la promesse qu'il a faite, devant ses cendres : tuer lui-même, de ses propres mains, l'homme responsable de tant de drames, le démon à l'origine de la guerre, le monstre qui s'amuse de les affamer. Ses poings se serrent convulsivement à ses côtés. Comment Tobio peut-il être leurré de la sorte ? Comment rassurer Nishinoya et lui dire que sa famille va probablement bien, alors que c'est la même armée qui les encercle qui a marché sur Karasuno ?
Lorsqu'ils ont fini de manger, Nishinoya prend congé pour aller se reposer et laisse Hinata seul. Le chevalier se dirige lentement vers les bains, sentant ses pas pesants, même après avoir mangé ; la plupart des soldats ne bougent presque plus de la journée, sinon pour aller chercher leur ration, à cause de cette sensation permanente de faiblesse.
VOUS LISEZ
Memento Amari - II
FanfictionAlors que la guerre civile a éclaté à Inarizaki, Tobio doit faire ses propres choix. Rejoindre un mari qui l'a repoussé sans même lui donner ses raisons ? Trouver un nouveau foyer ? Ou rester fidèle à Osamu... Et s'exposer à la magie du prince-mage...