Chapitre 20

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La mort plane sur le château de Karasuno.

Une semaine s'est écoulée depuis la mort de Yamaguchi, et les jours de siège, décomptés sur un pan de muraille tombé dans la cour au moyen de traits de burin, indiquent à présent dix-sept. Il semble aux assiégés que les rations diminuent encore de jour en jour, et qu'ils ne tiendront pas dix-sept jours de plus sans avoir consommé tout ce qui est comestible au sein du château.

Les premiers décès sont tombés, fatalement, suivant ceux des soldats blessés lors de la bataille. Les plus vieux, les plus jeunes, les plus faibles succombent aux carences, et plus un jour ne passe désormais sans qu'une perte ne soit à déplorer et qu'un corps décharné ne soit brûlé dans la cour derrière l'infirmerie. La sape morale commence à se faire effective, toujours rythmée par quelques secousses de leurs remparts, et les habitants du château ne sortent plus, préférant rester à l'intérieur et économiser leur peu d'énergie, ne quittant leurs chambres que pour aller chercher leurs rations midi et soir –et une rumeur court que, dans quelques jours, ils n'auront plus qu'un mince repas par jour plutôt que deux, tant les réserves diminuent.

Dans cette atmosphère de plus en plus morbide, Hinata ne renonce pas à sa détermination. Il refuse de se laisser abattre par le siège et la mort de ses amis, de Yamaguchi surtout ; non, il va vivre, il va survivre jusqu'à l'arrivée de Nekoma, et avec l'appui du roi Kuroo, ils vaincront Aoba. Tous les soirs, seul dans sa chambre désormais trop grande –on a retiré le lit de Yamaguchi-, il imagine le roi-démon, se concentre sur cette image de celui qu'il tient pour le responsable de toute cette catastrophe, et songe à tous les moyens possibles de le tuer.

Il ne l'a jamais vu en vrai, n'a fait qu'entendre les rumeurs et les chansons de barde. Tout ce qu'il sait d'Oikawa est qu'il règne depuis peu, qu'il a refusé le mariage avec Ushijima de Shiratorizawa (plus les quelques détails amenés par Kageyama sur ce point) sous prétexte d'être déjà marié, et qu'ensuite, quelque chose l'a transformé en montre aux yeux rouges et à cornes. Il n'en a jamais vu le portrait, l'imagine assez jeune, mais à l'expression féroce et au sourire cruel, avec deux grenats à la place des yeux et avec d'immenses cornes noires et recourbées.

Parfois, hanté par cette image et incapable de dormir, il décide d'aller rejoindre le dortoir de Tanaka, ouvert à tous et où il est sûr de trouver quelques soldats réunis, certains en train de jouer aux dés ou aux cartes, d'autres en train de parler à voix basse ou de dormir dans un coin. Le sentiment de fraternité, il en est conscient, est ce qui permet à tous ces hommes de tenir le coup.

Un soir, il a emprunté un léger détour pour s'y rendre, désireux de prendre un peu l'air après toutes ses méditations dans l'espace confiné de la chambre. Shouyou s'est promené un moment dans les jardins abîmés, et en remontant vers la division militaire, a aperçu Kageyama sur la muraille, accoudé au rempart, le regard tourné vers Aoba, comme cette première nuit où ils avaient découvert le camp plongé dans le silence. Il n'a pas osé le rejoindre, même inquiet des risques pris en s'exposant ainsi ; après tout, même si les soldats d'Aoba dormaient, quelqu'un pouvait toujours l'apercevoir d'en bas. Mais Kageyama sait ce qu'il fait, a-t-il songé, et il lui faisait confiance sur ce point.

Il n'a pas pu s'empêcher de refaire ce trajet toutes les fois où il a quitté son dortoir pour une promenade nocturne avant d'aller rejoindre ses compagnons d'armes, et chaque fois, immanquablement, quelle que soit l'heure de la nuit, il a trouvé Tobio au même endroit, silencieux et songeur. Hinata a décidé de mettre cela sur le compte de son ancienne allégeance, qui, après tout, ne peut pas être oubliée si facilement ; et paradoxalement, quelque part au fond de lui, l'idée que Kageyama envisage de rentrer à Aoba le soulage un peu. Au moins, lui s'en sortirait.

Memento Amari - IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant