Memento Amari - II

Chapitre 32

C'est dans une fin d'après-midi brumeuse que les armées de Karasuno, Nekoma et Fukurodani parviennent en vue du château d'Aoba Johsai.

Hinata n'en croit pas ses yeux. Le château est perché au sommet d'une immense colline, surplombant le paysage de toute son envergure ; la pierre blanche dont il est bâti semble le rendre irréel, tout droit sorti du brouillard qui l'entoure, et un instant, le chevalier se souvient de la chanson :

C'est un château si haut qu'il semble dans le ciel

On dit que c'est un roc au milieu des orages,

Et que les pierres blanches le font croire nuage,

Brillant de tous ses feux sous l'éclat du soleil.

Il n'en doute plus, à présent. Le palais est absolument immense, jetant ses tours vers le ciel –larges et rondes aux bords crénelés, hautes et rectangulaires surmontés de toits penchés d'ardoise bleue, fuselées avec délicatesse. Des milliers de fenêtres, minuscules à cette distance, semblent lui renvoyer son regard, et la plupart sont habitées de lueurs orangées infimes dans le lointain ; des bâtiments surgissent alors qu'il abaisse ses regards des hauteurs, il aperçoit confusément les formes sophistiquées d'un temple, les bâtiments carrées et sobres d'une armurerie, croit distinguer au loin la verdure de jardins supérieurs. Le reste lui est dissimulé par les imposantes murailles qui protègent le château et sa ville, à demi-visible de là où ils se trouvent ; mer de toitures resserrées le long du flanc de la colline et d'où jaillit parfois un clocher.

C'est ici que vivait Kageyama, songe-t-il ; puis, dans un sursaut de conscience, il se corrige. L'archer n'y a pas seulement droit de résidence –il règne sur cet endroit, sur ces immenses tours et ces bâtiments massifs, sur cette ville nichée dans l'enceinte, sur les villages environnants, sur les bourgades et les champs, les prairies, les forêts, les fleuves. Tout le territoire d'Aoba est sous son égide... après celle d'Oikawa, bien entendu.

-Nous nous arrêterons ici pour la nuit, déclare les lieutenants lorsqu'ils pénètrent dans un petit village. L'attaque aura lieu demain.

Si Hinata est soulagé de pouvoir se reposer un peu après les semaines de marche, il n'en est pas moins frustré de devoir attendre encore avant d'assouvir sa vengeance. Le château est là, juste devant eux, à portée de main ; et derrière ces remparts et ces murs de pierre blanche, le roi-démon se terre, celui qu'on dit avoir été autrefois un beau jeune homme, un roi ambitieux... et un bon mari. Oikawa était tout ce qu'un autre aurait rêvé d'être, autrefois –ce à quoi Hinata aspirait, lui aussi : la renommée, l'admiration, et la seule affection dont il ait voulu, celle de Kageyama Tobio.

Shouyou dort avec les autres, dans les chaumières des habitants ou dans les tentes militaires montées à la hâte –autour du village, sur les places, même dans les rues principales. Les gradés ont élu résidence dans une enceinte fortifiée, le bastion qu'ils avaient repéré pour les tenir à l'abri des combats tout en pouvant garder une vue globale sur le château. Il est perché sur un relief du village, directement orienté vers le palais, composé d'un épais mur d'enceinte, d'une forteresse centrale, et quelques tourelles en hérissent les flancs de pierre.

C'est dans le bâtiment principal que se tiennent encore les rois, tenant leur dernier conseil dans la salle de réunion. Ils sont tous debout autour de la carte, penchés d'un œil attentif pour réviser une dernière fois la stratégie d'attaque ; les torches accrochées au mur flambent ardemment, et font luire dans les prunelles des hommes des reflets de détermination.

-La diversion se fera sur le rempart nord, par Nekoma, déclare le roi Daichi. Le temps que les défenseurs d'Aoba s'y précipitent, le gros de nos forces, c'est-à-dire les soldats de Fukurodani, se précipitera au sud, sur ce point précis –le plus accessible. Quant à la plupart de mes hommes, ils forceront les portes de la ville pour la soumettre et faire la jonction à l'entrée du château.