Chapitre 34 : Deuil

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Les rideaux d'ordinaire rouges et or avaient été remplacés par de lourdes tentures noire, comme tout le reste dans la pièce, jusqu'à sa garde robe. Quelle idée idiote, stupides mœurs d'Arbaless ! Le noir la déprimait, la plongeait dans un tourbillon d'émotions négatives, plus sûrement que ne l'aurait fait n'importe quelle évocation d'un douloureux souvenir d'enfance.

Cette enfance, aujourd'hui, elle venait de la perdre. De tout perdre, de se perdre elle même. On le lui avait dit une semaine auparavant, quand la lettre était parvenue jusqu'à Arbaless, mais pourtant il lui semblait que vingt ans s'étaient écoulés. Oui, elle avait l'impression que le monde entier venait de perdre le peu de couleurs qu'il avait jusque là conservé. Elle se sentait lasse, et surtout vide.

On frappa à la porte d'une main assurée, elle n'eut même pas le coeur à refuser la visite et grommela un "entrez !" peu convaincu. Elle espérait que ce ne serait pas ses hôtes, depuis dix ans qu'elle vivait ici et bien qu'elle ait apprit à les apprécier, l'un et l'autre feraient une crise en la voyant si négligée. Les hauts dignitaires d'Arbaless étaient si superficiels, à paraître toujours tirés à quatre épingles en chaque occasion ! Cependant, la porte s'ouvrit pour découvrir un garçon de son âge, aux multiples tatouages d'un bleu qui détonnait sur sa peau mate et à la crinière d'une teinte similaire. Il paraissait ennuyé, tenait dans sa main droite un plateau, et fit une petite grimace en découvrant l'ambiance de la chambre.

Voyant qu'elle n'avait aucune réaction, pas même une moue râleuse, il soupira. Vérifiant avec attention que personne n'était dans le couloir, Acnologia referma la porte et fit quelques pas hésitants dans la pièce, pour se stopper devant elle.

Assise sur son lit un mouchoir dans les mains, elle le défia du regard de faire quoique ce soit que d'autres n'avaient pas tenté. Il parut apprécier cette étincelle de provocation, car un sourire apparu sur ses lèvres, ce qui fit naître chez la jeune femme une violente envie de le jeter dehors. Mais il était chez lui, il avait tous les droits, elle pouvait s'escrimer à refermer la porte entre eux que ça ne changerait rien.

Acnologia posa le plateau où trônait un morceau de gâteau aux pommes très appétissant, et finit par s'accroupir devant elle, les prunelles fermement ancrées dans les siennes. Anna ne recula pas, et poussa au contraire le vice jusqu'à se pencher en avant pour que leurs fronts se frôlent.

- Alors ? Que veut ta mère nous concernant cette fois ci ? souffla t-elle en maudissant intérieurement sa marraine et son sens de la mise en scène.

- Rien de plus que d'ordinaire, le spectacle habituel de la parfaite entente c'est tout, répondit le garçon avec un sourire en coin, amusé de la vitesse à laquelle la blonde avait intégré les manières du pays.

Dix ans qu'elle vivait dans la chambre en face de la sienne, et sa vie avait depuis repris un peu de piquant. Si innocente qu'Anna avait été, rien de toute cette pureté de jadis ne subsistait désormais, Arbaless et ses habitants y avaient veillé au grain. Si insupportable qu'elle fut, la jeune femme lui ressemblait malheureusement par trop de points, et Acnologia devait avouer s'être amusé à l'observer quitter son costume de petite fille parfaite pour prendre celui souhaité par ses parents. Il pouvait même dire que, telle qu'elle était maintenant, Anna ne l'agaçait presque plus. Presque.

- Si il n'y a rien de plus que je doit savoir à propos de mon attitude, pourquoi est ce que tu es là ? Tu cherches encore à fuir ton père ? soupira la jeune femme, se renfrognant, ses yeux verts entremêlés de fils marrons lançant des éclairs.

Elle voulait vraiment être seule. Ne pouvait on pas la laisser à son chagrin ?

Evidemment, elle savait que non. La guerre faisait des ravages dehors, sur tous les continents, et ce n'était pas parce que ses parents avaient été fusillés en tentant de retourner à Doralmia que le monde ne tournait plus. Dans quelques heures, on mettrait en terre des cercueils vides lors d'une cérémonie hypocrite où tout le gratin d'Arbaless serait présent, et où elle allait devoir combattre sa tristesse pour afficher une image acceptable. Arbaless dans toute sa splendeur, qui espionnait la vie privée des nobles dans les moindres détails, sans cesse. 

Anna avait appris à sourire faussement, à attraper le bras d'Acnologia en riant même quand ils venaient -une fois de plus- de se disputer. Elle avait appris à écouter des heures, poliment, quelque chose d'incroyablement barbant et à se tenir droite en toute circonstances. Tout un apprentissage qui la dégoûtait, à Doralmia il n'y avait plus de noblesse quand elle avait quitté le continent. Et ici, loin de ses racines, elle comprenait plus que jamais à quel point ce concept de "familles puissantes" était ridicule. Tout le monde en souffrait. Le peuple, considéré comme ayant moins de valeur et les nobles eux mêmes, enfermés dans un monde où paraître devenait plus important qu'être.

Acnologia ne répondit pas vraiment, il s'assit plutôt sur son lit à ses côtés malgré l'aura hostile qui s'échappait d'elle. Le jeune homme soupira, se gratta la tête, et marmonna avec une grimace :

- J'ai un coeur tu sais ? Je voulais juste savoir si tu encaissait bien le choc, et... M'assurer que tout allait bien je crois.

Surprise, Anna desserra les mains, qu'elle avait blanches à force de les presser l'une contre l'autre, et sans qu'elle ne le veuille une larme roula sur sa joue. Puis une autre. Et encore une autre.

Toute la pression accumulée jusque ici devait bien être évacuée, et les pleurs malheureusement aimaient se charger de cette tâche. Acnologia, du moins ses mots, venaient de la surprendre et de l'émouvoir assez pour faire sauter la soupape de ses émotions. Elle avait passé toute la semaine précédente à essuyer des discours vide de sens, des condoléances peut être sincères mais qui ne lui faisaient rien, et des tas de tentative pour la distraire, comme si tout ça allait l'aider à passer outre la mort de ses parents. Le discours du jeune homme, son attention sur elle, c'était plus vrai et sincère que ces milliers de paroles entendues jusque là, et ça lui réchauffait le coeur plus qu'elle ne l'aurait cru possible.

Anna se maudit intérieurement pour cette réaction digne d'une enfant, et essuya ses larmes en s'excusant. Acnologia attrapa son poignet, l'empêchant de se frotter les yeux, et grogna maladroitement :

- Non. Pleure, tu en as besoin.

Alors elle laissa aller ses larmes au creux de ses bras, et il resta, silencieux, plus sincère et plus réconfortant que tous les mots jamais utilisés.

Aujourd'hui, son enfance s'effondrait. Aujourd'hui, elle enterrait ceux qui lui avaient donné la vie. Aujourd'hui, elle ressuscitait.

NDA : Sombre époque, pour Anna du moins

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NDA : Sombre époque, pour Anna du moins. Et oui, on a fait une ellipse de dix ans c'est rapide XD Ils ont grandi nos deux pyromanes T^T Mais ils se rapprochent un peu plus de ce qu'on connaît. Alors, selon vous, quelle sera la suite des évènements ? :3

Bodyguards  [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant