Chapitre 37 : Loin

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La nuit silencieuse était tombée sur le Manoir, et on n'entendait plus rien, pas même le son de quelques oiseaux ou autres bêtes nocturnes. Pourtant, malgré ce calme olympien, Anna ne pouvait fermer l'oeil. Elle restait immobile sous les couvertures, à observer le reflet de la lueur des étoiles sur la statuette en forme de lion posée sur sa table de chevet. Toute sa chambre avait été décorée avec les couleurs et armoiries des Heartfillia. La noblesse d'Arbaless attachait beaucoup d'importance à ces symboles, la jeune femme n'avait donc pas eu d'autre choix que de voir l'intégralité de son monde se résumer à deux couleurs : rouge et doré.

Mais elle s'estimait plutôt heureuse, au moins héritait-elle de teintes assez chaleureuses et de belles armoiries : un lion qui attrapait une étoile. Pour être entrée parfois dans la chambre d'Acnologia, elle savait que ce n'était pas le cas de toutes les familles. La chambre du jeune homme, décorée de dragons et motifs tribaux bleus sur fond noir, n'incitait pas vraiment au sourire. Elle avait un frisson à chaque fois qu'elle y pénétrait.

De plus, ces motifs dérangeants qui la mettaient mal à l'aise, Acnologia les portait tatoués sur certaines parties de son corps. Elle ne savait pas jusqu'où exactement ils allaient, mais son cou, son visage, ses bras et ses jambes en étaient déjà couverts. Sur sa peau mate, ils ressortaient de manière angoissante, et malgré l'habitude, Anna n'arrivait presque pas à en détacher les yeux. 

Elle avait craint, à son arrivée, qu'on ne l'oblige elle aussi à injecter de l'encre sous sa peau, mais heureusement personne ne lui avait demandé une telle chose. Enfin... Pour l'instant.

Et elle avait peur de ne plus être laissée tranquille pour très longtemps, puisqu'elle avait atteint l'âge, l'âge qu'Acnologia et elle craignaient depuis des années. Elle avait seize ans, tout comme lui. Et avoir seize ans à Arbaless, lorsqu'on faisait partie de la Haute Noblesse, ce n'était jamais bon. Dans leur cas encore moins, puisque dès le lendemain on ouvrirait le testament de ses parents, et on lui ferait signer un contrat de fiançailles, qui la lierait à Acnologia. Elle savait déjà qu'elle ne s'y soumettrait pas, et que lui non plus, mais elle était pratiquement sûre que leur consentement n'était pas vraiment quelque chose d'obligatoire.

Et elle avait peur. Peur de ce que pouvait devenir sa vie si elle se laissait aller, si elle cessait un instant de s'opposer. Peur de ce qu'elle devenait de toute manière, même quand toute son âme était engagée dans un combat contre cette cérémonie stupide décidée pour une raison encore plus stupide.

Haïr des morts était très bizarre, et peu recommandé, puisqu'on ne pouvait rien leur souhaiter de pire que la mort, mais à cet instant Anna avait le sentiment profond de détester ses parents. Qu'est ce qui leur avait prit de l'enchaîner ainsi, la privant de toute liberté, de son libre-arbitre, de sa vie ? Quels géniteurs souhaitaient une telle chose à leur enfant ?

Elle se souvenait que son père espérait que le temps la ferait aimer Acnologia, et qu'ils pourraient donc fixer le contrat sans être trop immoraux. Petite, elle n'avait même pas eu la volonté de s'opposer à cette décision, puisque l'idée que ses parents faisaient tout pour son bien restait fermement ancrée dans son esprit.

Mais en observant la famille d'Acnologia, son esprit peu à peu s'était construit autrement. Grâce à lui, peut être, puisque le garçon n'avait pas vraiment grandit dans un univers très adapté à son jeune âge, et avait donc permis à Anna par sa manière différente de réfléchir et de percevoir le monde d'ouvrir un peu les yeux. Sans-doute ses parents l'aimaient-ils, mais leurs règles idiotes de bienséance les forçaient à ne pas trop le montrer. Acnologia ne manquait de rien, sauf d'un entourage émotionnel stable. Et cette unique lacune l'avait fait grandir d'une manière étrange, habitué aux manigances et aux jeux de pouvoir des hautes sphères. La confiance ne restait pour lui rien d'autre qu'un mot, et une valeur qu'il avait assimilée comme dangereuse.

Bodyguards  [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant