Chapitre 3

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D'épaisses volutes de fumée noire s'échappaient des larges fenêtres de la bastide et s'élevait dans le vaste ciel bleu. Le feu s'était désormais propagé à l'ensemble de la riche demeure et noircissait de ses langues ardentes la façade ocre de la bâtisse. Dans la vaste salle de bal, l'air se faisait de plus en plus irrespirable. De petits éclats de bois enflammés pleuvaient depuis le plafond dévoré, dansaient dans la pièce assombrit par les fumées et projetaient leurs lumières rougeoyantes sur le visage d'Éléonore.

Les sourcils de la vampire se froncèrent au-dessus de ses iris, devenus vermeils et animés d'une rage féroce. Ses lèvres se soulevaient sur de longues canines acérées. Un râle bestial jaillit de sa gorge. L'instant d'après, Éléonore fondait sur les chasseurs. Armée de ses longs ongles tranchants et de ses crocs pointus, elle trancha les gorges de ses ennemis, brisa leur nuques, planta ses canines dans la chair tendre de leur cous.

Les chasseurs tentaient dans un espoir désespéré, d'atteindre la vampire de leurs balles ou de leurs pieux, mais leur visions étaient troublées par la fumée et leurs poumons infectés par cette épaisse émanation de l'incendie qui les empêchait de respirer. Une poignée de soldats essaya de fuir, mais un pan entier du plafond de bois s'effondra sur eux dans un sinistre craquement enflammé. Éléonore acheva un à un ses assaillants devenus sans défense et n'en garda qu'un seul en vie.

— On dirait que je ne suis pas si sans défense que cela, lança-t-elle au chef des chasseurs, qu'elle avait épargné jusque-là.

Le visage déformé par le manque d'air, l'homme balaya la pièce du regard. Éléonore se tenait fièrement face à lui, juste en-dessous du lustre de fer forgé, tenant encore miraculeusement au plafond dévoré par les flammes. Il pointa, d'un coup, le canon de son fusil vers la chaîne métallique qui retenait le luminaire et tira. Déjà fragilisé par les flammes, le lien céda.

L'imposant lustre emporta dans sa chute, de nombreuses lattes du plancher et s'abattit violemment sur le sol dans un jaillissement chaotique d'éclats de bois et de flammes. Éléonore eu juste le temps de s'éloigner de quelques pas, avant d'être projetée au sol par le souffle de la déflagration.

Elle se releva lentement, au milieu des cendres, la blancheur de sa peau souillée par le charbon qui l'entourait. Les yeux étincelants de rage entre ses longs cheveux ardents, elle se tourna vers le chasseur. Avant que celui-ci n'ait eu le temps de bouger le moindre muscle, la vampire se jeta sur lui et serra ses longs doigts autour de sa gorge.

— Quelle est ton nom ? demanda-t-elle sèchement.
— Albéric, répondit-il difficilement, la gorge écrasée par la main puissante de la vampire.
— Tu as de la chance Albéric, je vais avoir besoin de toi ! susurra-t-elle à son oreille avant de planter ses canines dans son cou.

Il ne fallut que quelques secondes au venin de la vampire pour se diffuser dans le corps du chasseur et le placer sous son emprise, le condamner à obéir aux moindres de ses ordres.
— J'ai fait préparer une calèche à côté de la propriété, sors d'ici et attends-moi à ses rênes ! lui ordonna-t-elle.

L'homme ne pouvait refuser, il s'extirpa de la demeure en feu avec hâte et rejoignit le véhicule.

Éléonore se tournait vers la sortie de la salle de bal, lorsqu'elle remarqua un léger mouvement sous un tas de planche écroulé du plafond. Elle s'élança vers le monticule et en dégagea le corps de Tomaze. Il était encore en vie, ou plutôt encore mort. La vampire se saisit du corps de l'un des chasseurs et nourrit le serviteur de son sang encore chaud. Le jeune homme reprit conscience rapidement et leva ses grands yeux bruns sur la vampire.

— Tomaze ! J'ai cru que tu étais mort, s'exclama-t-elle en posant sur lui, un regard maternel.
— Vous vous souciez de moi ? souffla-t-il tout bas.

Éléonore détourna le regard un instant.
— J'ai une mission pour toi, reprit-elle en remettant son masque impassible. À la tombée de la nuit, je veux que tu ailles rejoindre mes fils et que tu leur dises que j'ai péri en me battant contre les chasseurs. Tu as compris, ils doivent me penser morte, c'est le seul moyen pour moi d'être sûr qu'ils ne me chercheront pas... Ensuite, tu viendras me rejoindre, tu sauras où je suis grâce au lien qui nous unis.

Bien qu'encore faible, le jeune homme acquiesça de la tête.
— Va dans la dependance, les flammes ne pourrons l'atteindre ! ajouta-t-elle en recouvrant les épaules du jeune homme d'une épaisse couverture pour qu'il ne brûle pas durant son trajet.

Éléonore le regarda s'éloigner un instant, avant d'être rappeler à la réalité par l'effroyable effondrement d'une grande partie du plafond de la pièce. Elle enfila une longue cape noire, dotée d'une large capuche afin de recouvrir chaque parcelle de sa peau laisser à l'air libre par sa robe pourpre. Elle se hâta à l'extérieur et monta dans la berline noire qui l'attendait sur le chemin de terre.

Elle s'installa à l'intérieur, mais ne donna pas l'ordre au chasseur de partir. Par la fenêtre du véhicule, elle fixa la bastide de son regard vert. Elle resta figée face l'horrible spectacle que lui offrait les langues de feux rougeoyante, consumant de leur malice sa demeure sous ses yeux.

Le toit, au léger dénivelé, s'effondra sur lui même. La façade, déjà carbonisée, se fissura en de nombreux endroits, l'enduit s'effrita et dévoila la pierre beige qui se cachait en dessous. La tour droite se décrocha lentement du reste du bâtiment et s'écroula dans un tonnerre assourdissant.

Une larme s'écoula des yeux émeraudes d'Éléonore, alors que le vent soulevait dans les airs, de petites flammes incandescentes. Le feu se propagea aux quelques oliviers, entourant la bâtisse avant d'embraser le champ de lavande violacé. Sous le regard impuissant de la vampire, la demeure qu'elle avait habité pendant deux siècles, le lieu qui avait vu la naissance de sa mère, disparaissait en fumée et en cendre, emportant avec elle, les souvenirs d'un bonheur, jamais si proche d'avoir été atteint.

— Nous devons partir, sinon les flammes vont nous atteindre, fit la voix du chasseur, aux rênes de la berline.
Sans attendre la réponse d'Éléonore, il tira les brides des chevaux pour les faire avancer.

***

Le souffle chaud du vent, faisait voleter dans les airs, les murs de tissu tendus de la grande tente d'Olenne. À l'intérieur de l'habitation, la jeune femme empaquetait le strict nécessaire à son périple. Son lourd bagage était prêt, lorsqu'un homme entra dans la tente. Il était du même âge que la chef des nomades, ses long cheveux bruns était attaché au sommet de son crâne et il était vêtu d'une tunique de lin beige.

— Tu ne devrais pas partir toute seule à la recherche des autres loups, commença-t-il en plongeant son regard marron, dans les yeux clairs de la jeune femme. Laisse-moi au moins t'accompagner.
— Asterios, c'est ma mission de réunir notre peuple, je dois le faire seule, répondit-elle en posant ses mains sur le torse musclé de l'homme. J'ai confiance en toi, pour veiller sur le camp en mon absence.

Il posa sa main sur celle d'Olenne, caressa sa peau du bout de ses doigts.
— J'ai peur qu'il t'arrive quelque chose sur la route. Le royaume n'est pas sûr pour une femme qui voyage seule.
— Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi, je sais me défendre. Tu ferais mieux d'avoir peur pour celui qui tenterait de s'en prendre à moi !

Asterios voulut répondre, mais les lèvres d'Olenne se posèrent sur les siennes.
— Je dois partir, j'ai déjà perdu trop de temps, souffla-t-elle tout bas.
— Reviens-moi vite, chuchota-t-il en la laissant s'éloigner.

La jeune femme se saisit de sa sacoche et quitta la tente.
— Par où vas-tu commencer ? lui demanda le jeune homme, pour la retenir quelques secondes de plus.
— J'ai entendu parler d'une famille de loup. Ils vivent en plein cœur d'une forêt, non loin d'ici, j'y serais dans quelques heures. S'ils acceptent de nous rejoindre, je les enverrais à toi.

Olenne regarda une dernière fois son peuple, massé devant sa tente et quitta le campement sous leurs acclamations.

Eleonore's SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant