Chapitre 39

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Une nuit sombre s'était installée sur le hameau, la pleine lune cachait ses rayons argentés derrière les épais nuages grisâtres ensevelissant le ciel, comme pour ne pas éclairé de sa divine lumière, le terrible événement qui s'apprêtait à se dérouler aux abords du petit village de paysans, dans la sauvage forêt l'entourant de ses murailles de végétations.

Le délicat vent nocturne caressait la peau d'Éléonore et emportait de son souffle, la longue chevelure incandescente de la vampire dans une danse mélancolique autour de son épaule. L'immortelle femme fixait d'un regard absent, la sombre étendu d'eau du lac, dont la surface se mouvait à peine de vaguelettes légères, destinées à mourir à ses pieds, sur la plage de sable fin.

— Tu n'es pas facile à trouver dis-moi ! scanda soudain la voix de Lilith dans son dos.

Éléonore fut arrachée à sa contemplation rêveuse, mais ne daigna pas détourner son regard du lac.
— Si tu n'es pas là pour me dire que tu es prête à ramener Théolias d'entre les morts, alors déguerpis avant que je ne réponde plus de mes actes ! tonna gravement la vampire d'une voix terriblement menaçante.
— On dirait que tu as passé une mauvaise journée, est-ce que...

La vampire tourna brusquement deux yeux brûlants d'une rage infernale vers Lilith, la sorcière se stoppa, toute envie de plaisanter l'a quitta aussitôt.

— Eh... oui, je suis prête, répondit la jeune femme, pour la première fois terrifiée par son alliée depuis qu'elle avait obtenu ses pouvoirs. J'ai tout installé dans les ruines du temple romain, nous ferions mieux d'y aller sans attendre, ces foutues bonnes sœurs pourraient patrouiller dans la forêt.
— Les nonnes ne nous importuneront pas ce soir, ni plus jamais d'ailleurs ! gronda Éléonore.

La vampire abandonna son point d'observation, elle passa devant la jeune femme à la chevelure de la couleur du sang et s'engouffra dans l'épaisse forêt. Derrière elle, Lilith comprenait lentement ce que les paroles de l'ancienne reine signifiaient. Son regard glissa sur la robe de l'immortelle et remarqua les éclaboussures d'hémoglobines qui constellaient le tissu bordeaux.

— Éléonore ! cria-t-elle pour l'arrêter.
La sorcière courut pour la rattraper et la tira par le bras pour qu'elle lui fasse face.
— Qu'est-ce que tu as fait ? l'interrogea sèchement Lilith inquiète de la réponse qu'elle allait obtenir.
— J'ai fait payer à ces petites pétasses prétentieuses la mort de mon fidèle Tomaze et du pauvre Thaïs qui commençait seulement à vivre ! Elles n'ont eu que ce qu'elles méritaient.
— Je croyais que nous étions d'accord ! s'emporta Lilith. Nous ne devions pas nous faire remarquer des villageois et tu ne trouves rien de mieux à faire que commettre un massacre !

Éléonore libéra brutalement son bras des doigts de la sorcière et fixa férocement son interlocutrice dans les yeux.

— Si ces villageois se mettent entre moi et Théolias, je les massacrerais eux aussi ! déclara froidement la vampire d'une voix qui ne laissait aucune place au doute quant à sa détermination. Mais je n'aurais pas à en arriver là puisque tu vas me ramener Théolias cette nuit et je pourrais enfin partir loin de cet endroit puant au bras de mon tendre époux !
— Tu vas peut-être partir, mais moi je dois rester, je ne veux pas avoir fait tout ça pour finir au bûcher ou au bout d'une corde ! rétorqua Lilith.

Un rire dramatique s'empara de la femme à la chevelure flamboyante.
— Ces paysans idiots et rustres n'ont aucune raison de te soupçonner d'avoir tué les religieuses. En revanche, ils trouveront peut-être très suspectes les disparitions soudaines de tes deux sœurs et la mort prochaine de tes parents ! D'ailleurs cela m'étonne qu'ils soient toujours en vie, peut-être n'es-tu pas si déterminée que tu ne veux le faire croire...

Lilith serra les mâchoires.
— Ils ne se douteront de rien, j'ai déjà de prévu de faire passer leur mort pour la simple action du temps ! Et s'ils sont toujours en vie s'est uniquement parce que j'étais bien trop occupé, la nécromancie est art qui se doit d'être minutieusement préparé, tu ne voudrais pas que le réveil de ton Théolias échoue n'est-ce pas !

Les deux femmes puissantes et pleines de caractères se fixèrent dans l'ombre des arbres tortueux.
— Assez discuter, cela fait deux siècles que j'attends de retrouver Théolias, je ne supporterais pas d'attendre plus longtemps !

***

Les ruines du temple romain à la gloire de la déesse païenne Cybèle aurait dû se dessiner dans l'horizon de la vampire, mais l'emplacement qu'occupait, dans sa mémoire, ce tas de pierres écroulées était enveloppé d'un sombre voile de noirceur dont l'ombre entourait le lieu d'une aura maléfique palpable. Cette noire obscurité fumante était si profonde que même les iris verdoyantes d'Éléonore ne parvenaient à la percer.

Lilith ne semblait nullement effrayée par cette brume inquiétante et poursuivait sa route avec le même entrain. Elle s'engouffra sans le moindre frissonnement dans ce nuage de brouillard et de noirceur, suivit quelques pas derrière elle, de la créature de la nuit. Un étrange spectacle s'offrit au regard de la vampire. Cette partie de la forêt n'était toujours qu'un champs de terre battu stérile et aride depuis le rituel que les deux femmes avaient mené quelques jours plus tôt, il ne s'y dressait plus que quelques troncs desséchés, pétrifiés dans d'abominable postures torturés et les murs à demi ensevelis sous terre du temple antique.

Trois anneaux de feu brulaient devant les deux femmes. Le premier, le plus étendu, entourait le tracé à peine visible de l'enceinte du modeste temple, le second quant à lui, flambait à l'intérieur des murs, vestige d'un passé très ancien, le dernier enfin, consumait l'air en plein cœur de l'édifice à la gloire d'une déesse païenne, depuis longtemps oublié. À l'intérieur de celui-ci, un monticule d'une terre différente s'élevait au-dessus du sol de sa forme oblongue.

Éléonore ne manqua pas de remarquer les nombreux ustensiles nécessaires à la réalisation du rituel, entassé dans un coin de la ruine. D'un geste de la main, Lilith signifia à la vampire de prendre place au centre du troisième cercle. Les deux femmes avancèrent dans le même mouvement, les flammes cessèrent leur danses brûlantes sur leur passages pour reprendre immédiatement après la caresse soyeuse de la traîne de la robe de l'ancienne reine. Elles s'installèrent l'une en face de l'autre, à l'interieur du troisième anneau de feu, le monticule de terre dressé entre elles.

— Cette terre vient du cimetière, elle sera l'argile dans lequel nous façonnerons le corps de Théolias, indiqua Lilith. Mais avant que cela ne soit possible, nous avons à accomplir certaines tâches.

La sorcière s'agenouilla au côté du tas de terre et plongea ses mains dans la glaise. Elle forma deux petits puits dans le monticule oblong dont la taille coïncidait avec celle d'un homme, l'un à l'une des extrémités et l'autre non loin, approximativement entre le premier et le milieu du monticule d'argile, mais légèrement décalé vers la gauche. Lilith leva la main vers l'endroit était stocké les ingrédients du rituel, sans avoir à regarder dans la direction ou prononcer le moindre mot, un cierge s'éleva dans les airs et arriva entre ses doigts.

La sorcière l'apporta au-dessus du second puits qu'elle avait creusée dans la terre. Elle garda la bougie religieuse en mains et se concentra pour faire s'embrasser ses paumes. Quelques flammes rougeoyantes s'échappèrent de sa peau et firent fondre la cire à l'intérieur de la petite cavité.

— La première étape est le cœur, pour le reconstituer, la maîtresse de la cérémonie de nécromancie doit mêler son sang à celui de la personne qui cherche à retrouver un être aimé.

Lilith joignit ses paroles à ses gestes, elle sortit un long couteau dont la lame tranchante étincelait à la lumière des flammes et leva son regard vers Éléonore. La vampire n'hésita pas le moindre instant, elle plaça sa main au-dessus de la cavité emplit de cire et offrit sa paume à la sorcière. La jeune femme amena sa main à côté de celle de son alliée et approcha son couteau. D'un geste d'une grande dextérité, Lilith entailla d'un même mouvement, leur deux peaux maladivement claires.

Comme en miroir l'une de l'autre, les deux femmes aux grands pouvoirs pivotèrent les mains pour faciliter l'écoulement du cruor vermeil. Le puits, tapissé de cire pour empêcher l'hémoglobine d'être absorbée par la terre, se remplissait rapidement de ce précieux liquide, mais un détail fit frissonner la peau de Lilith. Sous ses yeux, le sang qui s'écoulait de sa plaie était bien plus sombre qu'il ne l'avait jamais été et qu'il ne devrait jamais l'être.

Eleonore's SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant