Chapitre 24

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La main de Rosaline tambourinait à la porte de la maison modeste du meunier, accolée à un moulin mis en arrêt par la violente tempête. Celle-ci s'ouvrit enfin sur Gontran, le jeune fils du propriétaire de la bâtisse.

— Rosaline ? Qu'est-ce qui t'amène ici par ce temps ? demanda-t-il d'une voix ne masquant pas son trouble.
— Je cherche Ernestine, il parait que vous deviez vous voir cette nuit ! répondit-elle sèchement.
— Oh, ne reste pas dehors sous cette pluie, tu vas prendre froid ! s'exclama-t-il en faisant signe à la jeune femme d'entrer.

La jeune sorcière à la chevelure d'or entra dans la petite demeure avec empressement et s'installa au côté de l'âtre de la cheminée allumée pour se réchauffer auprès des flammes.

— Alors, est-ce que tu as vu Ernestine ? Est-ce qu'elle est ici ? questionna-t-elle vivement.
— Non, pourquoi je l'aurais vu, se défendit le jeune homme.
— Ernestine a dit à Lilith qu'elle sortait pour venir te rejoindre cette nuit, s'exclama la sorcière soudain prise d'un doute.
— Euh... Oui, c'est vrai, nous avions rendez-vous ensemble cette nuit, avoua-t-il après quelques secondes d'hésitations. On devait ce retrouver au lac après le couché du soleil, mais j'ai été retenu par mon père au moulin, le temps que j'arrive elle n'était plus là. Je pensais qu'elle en avait eu marre de m'attendre et qu'elle était rentrée chez elle.

Alors qu'il parlait, Rosaline le fixait afin de déceler dans son comportement un éventuel mensonge. Le jeune homme tremblait de tous ses membres pendant sa narration et son visage suait à grosses gouttes quant bien même il ne faisait en rien chaud. La sorcière restait dubitative, mais ne montra rien de ses doutes.

— Est-ce que tu as croisé quelqu'un en allant au lac ?
— Non personne d'inhabituel... Oh si ! reprit-il soudain comme s'il venait de prendre un coup. Il y avait une femme, que je n'avais jamais vue ici, une magnifique rousse à l'allure de princesse.
— Éléonore... se souffla Rosaline à elle-même en serrant les poings. Où l'as-tu vu ?
— Je l'ai croisé dans le village, mais elle aurait très bien pu venir du lac.
— Elle n'a donc pas quittée le village, dit-elle tout bas. Sais-tu où elle habite ?
— Hum non, mais la famille Aragon a augmenté sa commande quotidienne de pain récemment car ils ont une invitée, ça ne m'étonnerait pas que ce soit elle, une femme de ce rang n'irait pas dormir dans l'une de nos fermes miteuse.

La sorcière oublia immédiatement tous ses doutes, il lui paraissait désormais évident que cette femme était Éléonore et qu'elle s'en était prise à Ernestine pour se venger de leur refus de mettre fin à sa vie. Une rage bouillante remplaça l'inquiétude dans son ventre. Elle espérait de tout son cœur que sa sœur soit toujours en vie, mais elle savait cela peu probable. En revanche elle savait assurément que ce crime ne resterait pas impuni.

Rosaline se leva brusquement, les poings serrés, le visage fermé. Sans un mot de plus pour Gontran, elle s'engouffra à l'extérieur. La porte claquait à peine dans son dos que la silhouette inquiétante de Lilith se dessinait déjà dans l'ombre.

— Tu as été un bon garçon, déclama-t-elle d'une voix grave. Rosaline va courir droit à sa perte en se jetant dans les griffes d'Éléonore.
— Je lui ai dit tout ce que tu voulais, s'exclama le fils du meunier la voix éraillée par la terreur que lui inspirait la sorcière. Laisse-moi maintenant !

Un abominable sourire barra les lèvres de la jeune femme. Elle approcha ses doigts du visage de Gontran, mais arrêta son geste à quelques millimètres de sa peau.

— Mon pauvre Gontran, malheureusement tu en sais beaucoup trop à présent, je ne peux prendre le risque de te laisser en vie.

Le jeune homme émit un cri d'effroi porcin avant de s'enfuir en courant. Lilith le regarda se ruer vers la porte et s'engouffrer dans la tempête. Elle le fixa les sourcils froncés et récita quelques paroles occultes. Un éclair déchira soudain le ciel et frappa l'homme rustre qui fuyait sous la pluie. Son corps fumant s'écrasa tragiquement dans une flaque de boue.

Les paupières de Lilith s'ouvrirent sur sa minuscule chambre dans laquelle elle était accroupie au sol dans un cercle de bougie. Elle prit quelques secondes pour prendre une profonde inspiration, puis ferma à nouveau les yeux tout en récitant une incantation.

***

La pluie avait cessé son infernal fracas sur les toits du village, pourtant le ciel restait encombré de sombres nuages et se fendaient régulièrement d'éclairs blafards. Le tonnerre grondait tout autour du manoir, pourtant Garnier restait assoupi dans la solitude de ses draps. Il était allongé nu dans le grand lit à baldaquin d'Éléonore, épuisé par ses ardeurs et celle de sa compagne d'un jour.

Assise devant une délicate coiffeuse en bois marqueté, Éléonore brossait sa longue chevelure flamboyante sur laquelle se reflétait les flammes des bougies irradiants ce coin de la chambre de sa chaude lumière rougeoyante. Elle se détourna un instant du miroir pour poser son regard sur son ouvrage.

— Je vois que le veuvage ne te vas pas si mal finalement, es-tu sûre de vouloir ressusciter ton mari ! tonna soudain une voix que la vampire reconnue immédiatement.

Éléonore leva brusquement la tête, juste à côté de son visage, apparut celui de Lilith dans le reflet du miroir. La femme à la chevelure de feu se dressa vivement sur ses jambes et lança son bras vers la sorcière, mais au lieu de se serrer autour de sa nuque, ses doigts traversèrent l'air brumeux qui avait les traits de la jeune femme.

— Tu ne peux me toucher, s'exclama Lilith. Je ne suis pas véritablement là, ceci n'est qu'une projection de mon esprit.
— Je n'ai aucune leçon de moral à recevoir d'une petite salope qui veut tuer toute sa famille, gronda la vampire. Ce que je fais de mon corps ne change absolument pas mes sentiments pour Théolias, continua-t-elle en reprenant place devant la coiffeuse.

Éléonore s'empara d'un petit pot de poudre blanche et commença à en appliquer une légère couche sur sa peau déjà d'un parfait éclat. Elle ombra ensuite ses paupières d'un fard bordeaux et peignit élégamment ses lèvres d'une teinte vermeil. Elle avait remarqué que depuis que Lilith possédait les pouvoirs d'Ernestine, elle avait cessé de la vouvoyer. Même si ces conventions sociales l'intéressaient peu, elle ne pouvait s'empêcher de penser que cette sorcière avait l'audace de se considérer désormais comme son égale.

— Je suppose que tu n'es pas apparue dans ma chambre pour me regarder me maquiller ! s'exclama la vampire, fatiguée de voir la face muette de Lilith dans un coin de son miroir.
— Non en effet, je suis venue pour te prévenir, Rosaline arrive ! Je me suis arrangée pour qu'elle découvre que tu as attaqué Ernestine.
— Tu l'as envoyée ici ? Sans même me prévenir avant ! hurla Éléonore en se levant de sa chaise.

La vampire rejoignit le lit à baldaquin et secoua Garnier pour le tirer de son sommeil.
— Garnier, rhabille-toi, prend Madeleine, Florestan et Adrastée et partez du manoir le plus vite possible. Emmene-les où tu veux, au couvent si cela te plaît, mais surtout, ne revenez pas avant le coucher du soleil ! lui ordonna-t-elle à peine avait-il ouvert les paupières.

Éléonore regarda l'homme s'activer pour remettre ses vêtements et sortir de la pièce.
— Pourquoi fais-tu ça ? demanda Lilith.
— Je ne veux pas de spectateur, répondit-elle froidement pour cacher la véritable raison.

Elle avait promis à Madeleine que sa famille ne risquait rien à l'accueillir sous son toit et elle voulait que cela reste ainsi. La sorcière à la chevelure de la couleur du sang adressa un regard dubitatif à la vampire, mais après tout, leurs présences étaient plus une gêne qu'autre chose.

— Comme tu veux, maintenant préparons-nous à tuer ma sœur ! clama-t-elle un terrible sourire aux lèvres.

Eleonore's SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant