Chapitre 26

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Les longs doigts à la blancheur de l'ivoire d'Éléonore serrèrent de leurs pressions glacés le cou de Rosaline. La vampire souleva sa proie de quelques centimètres au-dessus du sol et plongea son regard injecté de sang dans celui de la sorcière. Elle aimait se délecter de la terreur qu'elle pouvait lire dans les yeux de ses victimes, mais ce n'est pas ce sentiment qu'elle voyait chez Rosaline, non, son regard était animé d'une effrontée insolence.

La jeune femme à la chevelure d'or tendit son bras vers la fenêtre toute proche, ses doigts agrippèrent l'épais rideau opaque qui masquait la lumière du jour et l'arrachèrent de ses gonds métalliques. Les rayons du soleil, filtrés par les grisâtres nuages orageux enveloppèrent les épaules de Rosaline.

— Maîtresse Éléonore ! hurla Tomaze à la vampire.

La peau d'Éléonore se consuma au contact de cette lumière naturelle, elle leva son bras pour se protéger le visage avant de se reculer brusquement dans l'ombre en abandonnant sa prise.

— Le jour ne durera pas éternellement ! gronda la vampire, se tenant fièrement à la limite entre l'ombre et la lumière au côté de son serviteur.
— Réponds-moi, cria Rosaline. Qui a tué ma sœur, toi ou ta complice ?

À ces mots le manoir tout entier fut prit de terribles tremblements, les parquets craquèrent d'un cri sourd et poussiéreux, le grand lustre paré de centaines de larmes en cristal du salon se balança dangereusement au plafond.

— Tu comprendras tout bien assez tôt, rétorqua sèchement Éléonore les mâchoires serrées.
La vampire adressa un menaçant regard à la sorcière jusqu'à ce que la terre cesse de frissonner sous ses pieds.

— Maîtresse Éléonore ! l'interrompit Tomaze.
— Quoi ? s'exclama-t-elle froidement sans quitter sa proie des yeux.
— Cette sorcière a fait du mal à Thaïs ! dit le serviteur avec une hargne dans la voix que la vampire n'avait jamais entendu auparavant.

La femme à la chevelure enflammée se tourna vers son servant et posa sa main sur son épaule.
— Rosaline payera pour ce qu'elle lui a fait, lui chuchota-t-elle tout bas. Va, occupe-toi de lui, je me charge d'elle.
— Mais, maîtresse...
— Chut, fais ce que je dis, de toute façon elle n'ira nulle part.

Tomaze la regarda fixement quelques instants de son regard bleu plein de larme. Il finit par se détourner de la vampire et s'engagea dans le couloir. La reine déchue l'observa prendre tendrement le corps inconscient de Thaïs dans ses bras et disparaître dans les escaliers.

Éléonore s'avançait lentement vers une petite commode sur laquelle était posée une bouteille de Marc d'Auvergne. Elle se servit un verre de l'alcool fort et en avala le contenu d'une traite. Rosaline ne le savait pas, mais elle venait de se piéger elle-même, la vampire n'avait plus qu'à attendre patiemment l'arrivée de Lilith et sa part du marché serait remplie. Bientôt cette sorcière démoniaque lui ramera son tendre époux.

Cette simple pensée fit apparaitre un léger sourire sur les lèvres de la vampire. Elle approcha à nouveau sa main de la bouteille emplie du breuvage à la robe légèrement ambrée, pour se servir encore de ce nectar envoûtant. Une boule de feu jaillit d'un coup des paume de Rosaline et vint faire exploser le meuble finement travaillé. Éléonore se retourna projeté au sol par la déflagration, sa chair, transpercée d'éclats de bois.

— Je n'attendrais pas une seconde de plus ! s'exclama Rosaline. Est-ce toi qui as tué Ernestine ?

La vampire garda le silence durant les quelques secondes qui lui furent nécessaire pour se débarrasser des douloureuses échardes plantées dans sa peau. Malgré son silence et le semblant d'impassibilité peint sur son visage, une rage brulante bouillonnait dans son ventre. Éléonore réfréna ses pulsions meurtrières naissantes au plus profond de son être et obsédant son esprit, elle avait besoin que Rosaline reste en vie jusqu'à l'arrivée de Lilith.

— Réponds-moi ! hurla sorcière avec tant de verve que la pièce toute entière fut balayée par une puissante rafale de vent.

La longue chevelure ardente d'Éléonore se reposa délicatement sur ses épaules après le passage de l'air. En un battement de cils, la vampire avait rejoint l'endroit le plus proche de la sorcière tout en restant dans l'obscurité.

— Non, gronda-t-elle d'une voix bestiale qui résonna entre les murs chargés de cet intérieur.
— Qui est votre complice ? questionna encore la jeune femme sans montrer la moindre crainte.

Éléonore ne répondit pas un seul mot, elle se recula lentement dans le grand salon. Elle pouvait entendre des bruits de pas faire craquer le parquet de l'entrée et s'aventurer dans la pièce.

— C'est moi ! scanda la voix de Lilith dont le ton grave et sinistre rappelait le grondement du tonnerre.

Rosaline manqua de défaillir sur ses jambes, elle dû se retenir au mur pour ne pas s'effondrer sur le sol.

— Li... Lilith ? peina-t-elle à articuler. Comment as-tu pu faire une telle chose à notre famille ?
— Notre famille ? s'esclaffa la jeune femme à la chevelure de la couleur du sang. Je n'ai jamais été accepté dans "notre" famille, toi, Ernestine, père et mère n'avait eu de cesse de me rabaisser toute ma vie. Vous m'avez toujours traitée comme une merde, une esclave seulement digne à nettoyer derrière vous et à dormir dans un placard. Avoue-le, aucun de vous ne m'a jamais aimée, je n'étais que votre boniche et tout cela pour avoir eu le malheur de naître sans le moindre pouvoir contrairement à mes grandes et puissantes sœurs !

Le visage de Rosaline se déforma peu à peu d'une rage sans nom à mesure que le discours de Lilith avançait.

— Oh j'y vois clair maintenant, tu n'es qu'une petite pétasse jalouse, tu l'as toujours été. Déjà petite tu ne supportais pas qu'Ernestine et moi avions des pouvoirs alors que toi tu n'en avais aucun ! Tu ne pouvais pas le supporter n'est-ce pas, c'est pour ça que tu l'as tué !
— Je ne sais pas pourquoi je prends encore la peine d'expliquer, vous ne pouvez pas me comprendre, vous n'avez pas vécu ce que j'ai vécu ! Mais cela n'a plus d'importance, j'ai déjà volé les pouvoirs d'Ernestine, bientôt je posséderais aussi les tiens et je serais la sorcière la plus puissante qui n'aura jamais existé.
— Ne compte pas sur moi pour te faciliter la tâche ! la prévint Rosaline les poings serrées.

***

Le soleil brillait dans l'immensité azur du ciel, le violent orage et ses grisâtres nuages semblaient concentrés sur le sol du village sans nom.

Dans sa petite ferme, Ludolphe déroulait avec soin les bandages entourant les blessures d'Olenne.
— On dirait que tes blessures se sont guéries plus rapidement que prévu, constata-t-il.
— Ça veut dire que je peux reprendre mon périple ? s'enquit-elle en se redressant sur le lit de paille.
— C'est à toi de le dire, comment te sens-tu ?
— J'ai encore des douleurs pour respirer, mais c'est largement supportable. Merci Ludolphe, tu as fait un merveilleux travail pour me remettre sur pieds.
— Tu te sens mieux, mais il ne faudra pas trop forcer durant ton voyage, un rien pourrait réouvrir tes blessures.

Olenne plongea son regard dans les yeux du fermier et prit sa main entre ses doigts.
— Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi ? Tu es un membre de mon peuple, tu as toute ta place avec nous.
— Je ne sais pas, je... je ne peux pas partir sans ma fille.
— Tu as une fille ? s'exclama la louve de surprise. Comment se fait-il que je ne l'ai jamais vue ?
— Elle ne vit plus ici depuis quelques mois désormais, sa santé était trop fragile pour le rude quotidien d'une ferme. J'ai réussi à la faire rentrer au service d'une riche famille de la région, elle travaille beaucoup, mais elle est bien mieux logée et nourrie là-bas que ce que je peux lui offrir ici.

L'homme détourna le regard un instant.
— Tu sais, ma fille est la dernière famille qu'il me reste, ma femme nous a quitté brutalement il y a bientôt dix ans. Cela a été très dur pour nous deux, mais je dirais que ça a resserré nos liens bien plus que les mots peuvent le dire.
— Je comprends, au cours de mes nombreuses vies,  j'ai pu expérimenter de grandes joies, mais aussi beaucoup de drames, compatit Olenne en déposant sa main sur l'épaule de Ludolphe. Vous ne devriez pas être séparés, ta fille est une louve elle aussi, elle a toute sa place à nos côtés.
— Si elle peut venir avec nous alors j'accepte de rejoindre ton peuple, de retrouver mon peuple. Je suis sûr que tu l'adorera, elle s'appelle Adrastée, ses maîtres vivent dans un village à une journée de cheval d'ici.

Du bout de ses doigts, Olenne releva le menton de l'homme.
— Allons la chercher !

Eleonore's SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant