Chapitre 31

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Les poings de Lilith se serrèrent si fort après les mots de sa mère que ses longs ongles se plantèrent dans la chair de sa paume et firent couler quelques gouttes de sang sombre sur sa peau pâle. La sorcière n'avait qu'un désir, faire déferler un déluge de flamme brulante sur sa génitrice, la voir se consumer et se reprendre en cendre fumante sur le sol.

Cet odieux fantasme matricide fit apparaître un diabolique sourire sur les lèvres vermeils de la sorcière, mais celui se dissipa l'instant d'après, en effet ses mains ne s'enveloppèrent pas de langue de feu comme elle l'avait espéré et rêvé depuis si longtemps. Non, ses mains restèrent terriblement humides et glacées par le torrent de pluie qui s'était abattue sur elle durant son trajet.

— De quoi parlez-vous mère ? répondit Lilith d'une voix qui se voulait naïve, mais ne dupait plus personne sur sa sincérité depuis bien longtemps.
— Tu le sais très bien, lança sèchement Régine. Tu n'es pas étrangère à la disparition soudaine de tes sœurs n'est-ce pas ? continua-t-elle, sa voix grave et éraillée par l'âge pleine de soupçons accusateurs.

La vieille femme fixa longuement le visage impassible de la plus jeune de ses filles de ses froids yeux bleus, elle avait toujours su qu'une horrible noirceur habitait le cœur de Lilith et cela même avant sa naissance. Désormais elle avait peur que sa fille ait succombé à ce mal si tentant et alléchant de promesses empoisonnés.

Le regard sévère de Régine se promena sur le visage de la jeune fille, sa peau semblait bien plus claire qu'auparavant et teintée d'une pâleur de cadavre, ses joues étaient creusées, des cernes violacées alourdissaient ses yeux dont les iris noirs n'avait jamais été aussi sombres. Les lèvres fines de Lilith étincelaient quant à elle d'une couleur bordeaux et laissaient entrevoir des dents bien plus longues et pointues qu'elles ne le devraient.

La femme âgée fini par remarquer la pluie de perles de sang sombre qui s'écoulait des paumes de sa fille. Elle ne prononça pas un mot de plus et retourna dans la petite pièce à vivre de la ferme, où elle prit place autour de la table branlante. Le regard pesant de Régine resta rivé sur Lilith par l'ouverture de cette pièce sur l'étroit couloir.

La jeune sorcière desserra les poings et s'évertua à reprendre son calme. Elle s'engouffra rapidement dans le minuscule débarras au plafond pentu qui lui servait de chambre. Enfin soustraite au regard de sa mère, elle pu afficher sa joie sur son visage, mais cette joie n'était pas complète, elle était teintée d'un inquiétant sentiment. Lilith se saisit de l'ouvrage de sorcellerie maléfique dissimulé sous une pile de linge et se plongea dans sa lecture.

Elle n'avait jamais été aussi puissante, plus puissante encore que ses deux sœurs et pourtant, elle ne s'était jamais sentie aussi faible. Elle devait comprendre pourquoi ses nouveaux pouvoirs ne lui obéissaient pas avant que cela ne lui compte la vie. Lilith savait pertinemment que si elle ne remplissait par sa part de l'accord qui l'a liait à Éléonore elle ne survivrait pas à la fin de l'été.

***

La robe maculée de sang d'Éléonore glissa sur la peau de la couleur de l'ivoire de la vampire et joncha le sol de la vaste chambre. L'immortelle femme plus vêtue que de sa longue chevelure flamboyante s'approcha lentement du miroir d'une démarche au déhanché félin et admira le reflet de son corps, dont l'absolue perfection était digne des plus belles statues de marbre de l'antiquité.

L'ancienne reine se détourna brusquement de l'image renvoyée par la glace au mercure, à quoi pouvait bien servir une telle beauté si elle n'était pas contemplée par les yeux de celui à qui appartenaient son cœur et son âme. Elle attendait ses retrouvailles avec Théolias depuis si longtemps, combien de fois ses espoirs avaient-ils été cruellement déçus. Éléonore ne pouvait se réjouir, les promesses de Lilith n'était que trop belle et intéressée, comment être sûre qu'elle ne serait pas trahie, une nouvelle fois.

La vampire, en proie au doute, habilla son corps d'une robe de chambre ample, au tissu immaculé si fin qu'il en était transparent et dévoilait les secrets de ses courbes divines. Elle ouvrit le rideau opaque d'un geste sec et s'avança sur le petit balcon de la chambre. Un faible vent glacée anima sa chevelure enflammée d'une danse gracieuse autour de ses épaules.

Le soleil déclinait au loin dans l'horizon et laissait à la nuit la chance de s'emparer du ciel et de lui imposer sa noirceur. L'orage avait cessé aussi brusquement qu'il avait commencé, la pluie abondamment déversée par les épais nuages sombres s'élevait désormais dans l'air crépusculaire sous la forme d'un voile de brume blanche ensevelissant, aux pieds de la colline sur laquelle se dressait le manoir, les champs et les fermes miteuses du village d'un décor fascinant.

Les pupilles émeraudes d'Éléonore se levèrent vers les étoiles pour y trouver une réponse rassurante à ses craintes, mais l'éclat argenté de la lune était aussi silencieux que ses rayons étaient merveilleux. Une larme perla sur la joue glacée de la vampire au regard hantée de noirs pensées.

L'immortelle se détourna de ce sublime océan de brume immaculées après avoir pu distinguer le carrosse de la famille Aragon émerger de ses flots scintillants. Les chevaux tiraient le véhicule sur le chemin de terre sinueux qui quittait le village et traversait champs et forêt pour rejoindre la noble demeure. Ils seraient bientôt là.

***

Les paupières de Thaïs s'ouvrirent délicatement sur ses pupilles noirs. Une faible respiration souleva sa poitrine, désormais affranchie de la douleur pesante sur les vies des mortels, son sang reprit sa circulation dans ses veines sous sa peau teintée d'une nouvelle pâleur. Un souffle froid émergea de ses lèvres avant qu'il puisse prononcer la moindre parole.

Le jeune homme se redressa sur le lit de paille, instinctivement son regard balaya l'obscurité de la chambre mansardé à la recherche de Tomaze. Le vampire nouvellement né se surprit à pouvoir distinguer les moindres détails de la pièce miteuse malgré la pénombre, mais son étonnement fut chasser de son esprit lorsqu'il découvrit le corps de son ami affalé sur les couvertures au pied du lit.

— C'est tout ce que ça te fais de me revoir ? murmura-t-il la voix encore fragile.
— Thaïs ! s'exclama le serviteur en se redressant brusquement. Tu es réveillé ! Ça a marché !

Le visage de Tomaze s'illumina d'un large sourire malgré son esprit tourmenté, habité de nuages et ses pupilles brunes s'animèrent d'une joie non feinte. Il entoura le jeune homme de ses bras à la peau glacée et le serra tout contre lui.

— J'avais si peur de ne pas avoir réussi, j'avais si peur de t'avoir perdu, souffla-t-il à l'oreille de son ami en repensant aux craintes qui l'assaillaient quelques instants plus tôt.
— Ne te tourmente pas, tu l'as fait, tu m'as sauvé d'une mort cruelle et douloureuse, le rassura Thaïs en plongeant ses grands yeux dans le regard rougis du vampire.

Les deux hommes ne pouvaient se détourner l'un de l'autre ne serait-ce qu'une seconde, ils ne pouvaient s'éloigner de corps ou en pensée tant leur cœurs battaient aux même rythmes et ne demandaient qu'à ce rapprocher encore et fusionner pour n'en former plus qu'un seul. Tendrement, leurs lèvres s'approchèrent, s'effleurèrent dans un frémissement de plaisir et d'extase, elles se mêlèrent, dansèrent ensemble un ballet de baiser charnel au goût d'évidence.

Les vêtements de Tomaze et de Thaïs glissèrent sur leur peaux glacées et vinrent jonché le sol, leur deux corps se serrèrent l'un contre l'autre d'une délicieuse étreinte peuplée de douces caresses et baisers enivrants. Leurs deux êtres vibrèrent à l'unisson dans l'humide obscurité de la chambre mansardé et savourèrent les plaisirs de l'amour.

Eleonore's SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant