Chapitre 18

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Les lèvres de Madeleine, d'une si grande finesse qu'elles en auraient presque été invisible si elle n'avait pas été recouverte d'un rouge à lèvres vifs, allait s'ouvrir de nouveau, mais se refermèrent aussitôt lorsque les pas de Garnier approchèrent.

Il s'installa de nouveau à sa place, entre son épouse et Éléonore, pendant qu'Adrastée posait une assiette, une coupelle de faïence fine et des couverts en argents devant la vampire. À comptez de ce moment, Madeleine ne prononça plus aucune parole et la conversation fut principalement animé par les questions de Florestan concernant le monde, le monde de l'autre côté de l'épaisse forêt qui encerclait le village et ses alentours d'un rempart sauvage et dangereux.

Éléonore se fit un plaisir de lui décrire les splendeurs que comptaient le royaume et qu'elle avait pu admirer au cours de sa longue existence. Elle mangea le repas qu'avait préparé la domestique de la famille Aragon. Bien que cette nourriture ne la sustente en rien, elle ne voulait trahir sa véritable nature, que trop de monde sache que la mort avait remplacé la vie dans ses veines.

Le repas toucha rapidement à sa fin, Garnier et Florestan prirent congés des deux femmes le temps de fumer dans le fumoir. Dès leur départ, Madeleine adressa un regard sévère à Éléonore, elle se leva à son tour et intima à son invitée indesirée de la suivre. Madame Aragon la conduisit jusqu'à un petit salon, attenant à la salle à manger.

Une massive cheminée, disproportionnée par rapport à la taille de la pièce, trônait derrière un petit salon distingué. D'un côté, deux fenêtres orientées vers le village offraient une vue panoramique sur tout le hameau fermier et la forêt qui l'entourait alors que ce paysage s'apprêtait à être plongé dans l'obscurité de la nuit. De l'autre en revanche, était exposée un portrait de la famille Aragon.

Le regard d'Éléonore se posa sur cette peinture d'une époustouflante finesse et c'est à demi surprise qu'elle compta non pas trois, mais quatre personnages. Un jeune enfant était installé sur les genoux de Madeleine sur ce tableau probablement peint dix ans auparavant à en jugée par l'âge que semblait avoir Florestan.

Pendant que la vampire observait la pièce, Madeleine se saisit d'une bouteille de vin rouge au long col et à la base large et de deux verres en cristal. Après les avoir remplit généreusement, elle en tendit un à Éléonore et trempa ses lèvres dans le second.

— Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous voulez à ma famille, mais je vous demande, je vous implore de partir. Comme vous l'aurez deviné, j'ai déjà perdu un fils, il est hors de question que je ne revive une telle chose ! déclama Madame Aragon, les yeux humides et les mains tremblantes.
— Très chère, je ne veux rien de votre famille si ce n'est pouvoir profiter du confort de votre demeure pendant les quelques jours de ma présence ici. Je n'ai aucune intention de vous nuire, je suis mère moi aussi et je ne peux même pas imaginer la douleur que doit provoquer la perte d'un enfant.

Madeleine détourna la tête pour sécher ses larmes, sans un mot de plus, elle avala le contenu de son verre et retourna dans la salle à manger. Éléonore trempa ses lèvres dans le verre de vin rouge, mais à la première gorgée son beau visage fut déformé par le dégoût.

— Ce vin est infecte, s'exclama-t-elle en jetant le contenu de son verre dans l'âtre enflammé de la cheminée.

Son verre toujours en main, elle rejoignit à son tour la salle à manger et attendit le retour des deux hommes.

— Merci pour ce repas, entonna-t-elle poliment. Je vais rejoindre ma chambre, je suis encore épuisée par mon long voyage, dit-elle pour prendre congé.

Éléonore emprunta les escaliers, mais avant d'entrée dans ses appartements, elle monta jusqu'au grenier où avait été installé Thaïs et Tomaze. Leur chambre était modeste, elle n'était meublée que des deux lits sommaire et d'une commode, mais cela était bien suffisamment comfortable. La vampire ouvrit la porte de cette pièce dont le toit mansardé limitait la hauteur de plafond.

Le serviteur et le jeune homme qu'elle avait recueilli il y a peu, était en plein discussion tout en mangeant les quelques restes du repas des maîtres.

— Maîtresse Éléonore, pouvons-nous faire quelques choses pour vous ? s'empressa Tomaze.
— Toi non, mais Thaïs oui, répondit-elle.

Elle s'approcha du jeune homme et se saisit de son poignet. De la pointe tranchante de l'un de ses ongles, elle traça une ligne vermeille sur sa peau et laissa son sang ruisseler dans le verre en cristal. Lorsque le précieux recipient fut remplit, elle piqua la pulpe de son pouce de l'une de ses longues canines et appliqua la perle d'hémoglobine qui se forma sur son doigt, sur la blessure du jeune homme. En quelques secondes, il n'y avait plus aucune trace sur le poignet de Thaïs.

— Thaïs, demain je veux que tu aides la domestique de nos hôtes, lança-t-elle avant quitter la pièce sans même attendre sa réponse.

***

Le souffle encore chaud du vent malgré la tombée de la nuit faisait virevolter la chevelure incandescente d'Éléonore telle des flammes dansantes dans l'obscurité. Elle était accoudée à la balustrade en pierre sculptée dans un style renaissance du balcon de sa chambre et se délectait avec plaisir du sang chaud qui emplissait son verre.

Son regard émeraude admirait le somptueux ciel étoilé qu'aucune lumière terrestre ne venait souiller. La voie lactée partageait cet impressionnant tableau de constellations scintillantes et colorées dans lequel l'on pouvait apercevoir des traînées de feux.

Un instant, Éléonore baissa son regard vers le village qui se voyait en contrebas de la colline sur laquelle était juchée le manoir, mais malgré sa parfaite vision nocturne, le village restait plongé dans la nuit. La vampire s'attarda quelques secondes de plus sur cet étrange constat. Il semblait qu'une noirceur surnaturelle et impénétrable recouvrait le hameau, qu'un nuage maléfique l'enveloppait.

Éléonore n'eu pas le loisir de s'en préoccuper plus longtemps, un sifflement émergera de la nuit au pied du manoir. Le regard de la vampire se posa sur la source de ce bruit. Lilith se tenait sous le balcon.

L'ancienne reine termina son verre de sang, elle enjamba la balustrade du balcon et se jeta dans le vide. Elle atterrit parfaitement sur le sol et s'approcha de la sorcière sans pouvoir.

— Que fais-tu ici ? On ne doit pas nous voir ensemble ! s'exclama Éléonore.
— J'ai besoin de vous pour effectuer le rituel qui me permettra de voler les pouvoirs de mes sœurs, répondit-elle en désignant le sac en tissu plein qu'elle portait en bandoulière. Mais pour cela nous devons allez dans la forêt.
— La forêt est de l'autre côté du village, nous allons nous faire repérer !
— Ne vous inquiétez pas, je connais un chemin où l'on ne croisera personne.

Lilith prit la tête de la marche et conduisit la vampire jusqu'au puits de la propriété. Son couvercle était déjà enlevé et en y regardant de plus près, l'on pouvait distinguer les barreaux métalliques d'une échelle prit dans la pierre.

— Où est-ce que ce passage conduit ? demanda Éléonore intriguée.
— Partout, lui répondit Lilith avec un large sourire.

Elle n'ajouta pas un mot de plus et s'enfonça dans le gouffre obscure.

***

La flamme dansante d'une unique bougie éclairait faiblement le visage endormi d'Olenne. Elle était allongée sur un lit de paille, son corps recouvert d'une couverture. Assit à son chevet, Ludolphe pansait ses nombreuses blessures. Il nettoyait les plaies de la jeune femme avec délicatesse et appliquait des cataplasmes à base de plante sur les larges ecchymoses sombres qui parsemaient sa peau caramel.

Il s'apprêtait à souffler la bougie et à rejoindre son lit lorsque les paupières d'Olenne s'ouvrirent brusquement.

Eleonore's SoulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant