"Vous reviendrez"

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La précipitation et la curiosité me poussèrent à arracher les derniers pans de papiers qui collaient encore à l'enveloppe. Qui pouvait bien m'écrire ? J'étais un peu comme Harry Potter dans son placard, personne ne connaissait mon existence nouvelle de ma soeur. Mon père ne trouvait pas ça gênant contrairement à moi qui détestais vivre dans le déni et la solitude. Les seules fois où les lettres m'étaient destinées, c'était quand Mike partait en vacances et qu'il pensait à moi. La lettre enfin libérée, je la dépliai soigneusement et lu son contenu en silence.

"Vous reviendrez."

Mon père me pris la lettre des mains, me voyant perplexe et la lu avant de la faire passer à ma soeur qui s'en servit comme brouillon de calcul. Quelques secondes plus tard elle claqua des doigts et nota une suite de chiffres sur sa copie soigneusement rédigée. Elle s'apprêta à jeter son brouillon improvisé quand son regard parcouru enfin les quelques mots barrés de ses chiffres. Elle me sonda du regard en essayant de trouver la moindre trace de colère ou même d'inquiétude.

May: Ça va ?

Tess: Ça va.

Cet accès privé à la communication mentale nous était d'une telle praticité, que des conversations orales étaient inutiles en présence de monde. Elle s'adossa à sa chaise et roula en boule le papier griffonné avant de tenter un lancer dans la poubelle, ce qu'elle ne manqua pas. Elle jubila intérieurement avant de revenir au vif du sujet :

- Pourquoi ?

Mon père commençait à triturer ses doigts avec nervosité. Ce fit un silence, laissant tonner la trotteuse infernale de l'horloge. Il soupira puis formera quelques mots incompréhensibles. J'aimais mon père plus que tout mais un sentiment de rancoeur se nichea dans mon estomac. Ayant le fâcheuse manie de trouver un coupable à tous malheurs, j'attribuai celui-ci à mon père en énumérant les différentes raisons. Pourquoi nous avait-il traîné aux quatre coins du monde si cet homme savait constamment où nous étions ? Mon père répondit :

- Pourquoi maintenant ? C'est surtout ce que j'aimerais savoir

Je n'arrivais pas à croire qu'après tout ce temps, cet homme ne nous ai pas oublié. Et mon père...
Il m'avait promis la sécurité et une bonne éducation. Il nous avait dit à May et moi que personne ne nous reprendrait, que ma mère n'était pas morte pour rien en voulant nous sauver. Je commençai à lui en vouloir d'autant plus en revoyant défiler des images que j'avais refoulées aussi profondément que possible. Avait-elle donc enduré toute cette torture pour rien ? Un sentiment de panique brouilla ma vue et je mis mes mains devant mes yeux par réflexe. Mentalement, je comptai mes respirations jusqu'à dix en imaginant un escalier où chaque marche était l'un de ces numéros. Ça ne marchait pas tant que ça, mes poumons inspiraient de moins en moins d'oxygène, ma tête tournait et mon cœur résonnait dans mes tympans. Mon mental céda soudainement et je relevai vivement la tête, envoyant le récipient à fruits contre le mur. Mon père et ma soeur sursautèrent sans oser bouger plus. Je pouvais sentir May me bousculer mentalement à coups de paroles rassurantes mais je la chassais aussitôt fait. Je serrai les poings en enfonçant mes ongles dans la chair de mes paumes. Voyant ses tentatives vouées à l'échec, May se leva calmement et caressa mes avant-brasdu bout des doigts mais je m'écartai d'elle d'un geste sec. Elle n'y était pour rien, j'en avais conscience mais cet impression d'étouffement s'accentuait au moindre contact. Je me retournai vivement vers mon géniteur et lui reprochai tout ce que j'avais en tête :

- Tu m'avais dit qu'il ne nous trouverait pas. Que tout ça c'était terminé !

- Tess...

Mon père s'approcha de moi avec douceur pour tenter de me rassurer. Sa voix réussi à m'apaiser quelques instants avant que le flot trouble de mes souvenirs ne refasse surface. Piégée par une enfance que l'on m'avait ôtée, je ne trouvais rien de mieux que de le lui reprocher par tous les moyens. Je reculai jusqu'à heurter la commode de mon dos. Mon père continua à avancer de manière à ce que je ne trouve pas d'échappatoire. Il avait l'air épuisé de toutes ces sautes d'humeurs mais ne cherchait que mon réconfort. Je pouvais à présent sentir mon cœur soulever ma poitrine, prise d'une violente panique à cette idée de piège.

- Qu'on pourrait vivre normalement !

Comme pour me protéger, je fis valser des assiettes à travers la pièce. Mon père se baissa à terre pour se protéger d'éventuels résidus, me permettant une issue à son emprise. Je me faufilai et rejoingnis le centre de la pièce où May se tenait debout avec.
Je ne voulais même pas savoir à quel point j'avais l'air ridicule.

- Qu'on allait repartir à zéro et qu'il n'y aurait plus de comptes à rendre à personne !

Mon père fit volte-face, furieux cette fois. Il avait compris que la manière douce n'était plus une option dorénavant et qu'il fallait y aller de main forte. Je fis glisser une chaise sur son passage pour ralentir sa course. May qui n'avait pas dit son dernier mot, prit le contrôle du siège et le remit en place pour laisser champs libre à mon père qui me prit le poignet avec force. J'avais dépassé les limites et j'en étais consciente.

- Arrête tes enfantillages ! Tu te calme immédiatement ou c'est moi qui vais te calmer !

Mes joues étaient trempées de larmes que je n'avais même pas senti couler. Je saignais des oreilles sous la pression télékinésique. Sa main était tendue derrière son épaule comme pour me gifler et je savais qu'il en était capable. Je durcis mon regard à son encontre et ce manque de respect lui suffit pour faire siffler sa main vers ma joue. Mon visage passa de la haine à l'effroi en anticipant ce geste tant de fois répété. Non, pas encore, je refusais. Prise de court, je me protégeai de mon bras libre en criant :

- Non !

Je parvins à libérer mon poignet avec un dernier recours de force et projetai mon père contre la table. Il tomba brutalement au sol et les placards cédèrent en brisant de la vaisselle rangée soigneusement à l'intérieur.
May releva doucement ses yeux du corps de mon père pour les ancrer dans les miens. Je savais que je n'allais pas aimer ce qui allait s'ensuivre.
Elle n'eut qu'un mouvement de tête à faire pour m'envoyer contre le mur qui n'amortit nullement mon arrivée. Je grimaçai de douleur et serrai les dents pour tenter de me libérer de son emprise. Elle était beaucoup plus forte que moi. Foutu aïkido. Sa force était mesurée et équitable, permettant à son corps de gérer sol énergie sur mes muscles sans la fatiguer. Ma sœur s'avança lentement, faisant peser sa colère dans son attitude. À ma hauteur, elle siffla :

- Écoute-moi bien Tess, je sais que tu as peur de retourner là-bas. Je sais qu'en ce moment tu ne te trouves pas. Il faut que tu arrêtes de piquer des crises parce que quelque chose te tracasse. Il ne viendra pas ici parce qu'il sait très bien que nous y sommes préparées.

Elle resserrait son emprise au fur et à mesure qu'elle me parlait pour me faire peser le poids de ses mots. Je tentai l'assommer en attirant un objet divers à travers la pièce mais elle l'arrêta net. May avait toujours un coup d'avance sur les autres.
J'avais l'impression qu'elle aspirait mon énergie pour la réutiliser contre moi et c'était sans doute plus quelque chose de réel qu'une impression. Un sentiment de trahison me laissa un goût amer dans la gorge, me faisant grimacer.

- On a encore beaucoup de boulot à faire toi et moi mais si on s'y met ensembleon peut le faire Tess.

Elle avait l'air d'y croire et ses belles paroles de motivations -sans doutes volées dans les films- me donnaient envie d'essayer.
La colère se dissipait petit à petit au fur et à mesure qu'elle m'affaiblissait, laissant place à une fatigue déclenchée par ma soeur. Elle me laissa glisser au sol mollement et s'agenouilla à ma hauteur. Mes muscles s'engourdirent peu à peu, mon rythme cardiaque retomba lentement à la normale, ma tête s'allèga doucement. Son nez saignait, ses yeux étaient rougis par l'effort mais un doux sourire décorait quand même son visage. D'une main, elle releva mon menton et chuchota :

- J'espère que le lycée t'aidera à te canaliser.

Elle déposa un baiser sur ma joue. Le lycée, m'aider ? J'en doutais fort. Cet endroit aspirait plus à la haine qu'à l'effort.
Ses caresses sur ma joue finirent de m'apaiser et je me sentis happer par un trou noir infini.

Un(lim)itedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant