Jordan Carter et sa vie en trois mots

la réalité pt. un

Je suis assis avec mon père, ma mère, ma sœur et mes deux frères à la table. Je mange lentement le repas qui est devant moi jouant de temps en temps avec quelques nouilles. Ma fratrie parle principalement de leur émission qui passe à la télévision et de l'école tandis que je me sens observé par mes parents qui se demandent évidemment ce qui se passe avec moi. Je sais qu'ils veulent me poser des questions, mais ils n'osent pas. Peut-être ont-ils peur de me brusquer ou de me froisser? Ou encore préfèrent-ils ne pas en parler devant les plus jeunes?

Ma mère profite d'un silence pour me poser une simple question.

– Est-ce que tout va bien?

Je pourrais tout leur dire, mais je ne veux pas. Je me sens encore brisé. J'ai l'impression que mon monde s'écroule tout autour de moi, laissant petit peu par petit peu un morceau de moi sur le long chemin. Parler de la situation à mes parents me fait trop mal surtout devant les enfants. Je ne veux pas en parler devant eux, car je veux être un modèle sur qui ils pourront se référer.

– Ouais, je lui réponds lentement.

Bien sûr, mes parents ne sont pas stupides et ils savent que je ne leur dis pas tout. Si tout allait bien, je serais moins sur les nerfs. Et surtout, je n'aurais pas fait toutes ces conneries à l'école. De ce fait, je sens de la compréhension venant d'eux et cela me réconforte. Je sais que peu importe ce qu'il arrive, ils seront là pour moi les bras grands ouverts.

Soudain, quelqu'un frappe à la porte et mon père va répondre. Je peux entendre sa voix, mais je ne perçois pas ce qu'il dit. Puis, il revient dans la salle à manger pour m'avertir qu'il y a une personne qui veut me parler. Je me lève et je me dirige vers la porte d'entrée.

Je vois par la fenêtre que, sur le porche, se trouve May, mon ancienne meilleure amie. Je ne vois pas son petit ami dans le coin, mais je sais qu'il n'est pas bien loin. J'hésite longuement avant d'ouvrir la porte. Après tout ce qui est arrivé, pourquoi le ferais-je? Je décide tout de même d'aller la rejoindre après avoir enfilé un manteau.

Une fois à l'extérieur, May semble vouloir se jeter dans mes bras, mais elle se retient. Pour ma part, je n'ai pas tout à fait la même réaction. Je veux seulement qu'elle quitte ma vie. Pense-t-elle qu'après ce qu'elle a fait, je vais simplement la pardonner?

J'attends qu'elle me dise quelque chose. May sait pertinemment que je suis en colère contre elle. Comme seule compagnie le silence, nous avons l'air de deux parfaits inconnus.

– Comment ça va? me demande-t-elle.

Je ne sais pas quoi lui répondre. En fait, je trouve sa question plutôt ironique. Sans elle, tout irait beaucoup mieux.

– Correct, je réponds simplement.

Il y a un autre moment de silence entre nous. Les lumières colorées de Noël provenant du toit de ma maison éclairent le visage de May. Elle est visiblement triste, mais je ne me sens pas mal pour elle. Pas cette fois. Nous avons toujours passé nos Noëls ensemble si ma mémoire est bonne. C'est la première fois que nous le passerons sans l'autre.

– Je voulais m'excuser, murmure-t-elle presque inaudible. Je sais très bien que ce que j'ai fait, c'est dégoûtant. J'ai fait une erreur. Je ne pensais pas que j'allais perdre mon meilleur ami.

Les larmes coulent abondamment sur ses joues. Elle prend une pose et j'entends son souffle trembler. Je prends également une profonde inspiration puisque je sens les larmes me brûler les yeux.

– Je devrais être en ce moment à tes côtés pour te réconforter, poursuit-elle. Je suis vraiment désolé.

Sans réfléchir, je dis tout ce qui me passe par la tête.