Jordan Carter et sa vie en trois mots

chapitre dix-neuf *

Je suis allongé dans mon lit. Mon téléphone à mes côtés joue de la musique. Je ne bouge pas. Je ne sais plus quoi faire. Je n'arrête pas de me repasser la scène de toute à l'heure.

Je repense à mon cœur qui battait dans ma poitrine. Le vent qui fouettait mes cheveux rendus assez longs sous un soleil doré. Je me rappelle de sa peau douce qui caressait mon visage et de son souffle sur mon visage. Je me souviens de ses lèvres contre les miennes.

Je ne peux m'empêcher d'y penser. Le plus troublant est le plaisir que j'ai eu. Est-ce normal? Peut-être qu'au fond, c'est seulement parce que j'ai embrassé quelqu'un que je suis dans tous ses états.

Toutefois, peut-être que j'aime les garçons et les filles. Cela expliquerait pourquoi j'aimerais tant recommencer. Pourtant, cela n'a aucun sens. Je n'ai jamais regardé les garçons. Je n'ai jamais été attiré envers eux, jamais été à l'aise avec eux. Pourquoi aimerais-je être avec un autre garçon? Ça n'a réellement aucun sens.

C'est décidé. Je n'ai aucune envie d'être en couple avec un autre garçon. C'est seulement cette fausse relation qui me perturbe. Une fois que tout sera terminé, je serai libre comme l'air et j'avouerai mes sentiments pour Molly. C'est ce que je vais faire après les vacances de Noël.

Je ne comprends pas comment j'ai pu aimer embrasser Dylan. Je veux dire, ça n'a aucun sens! Je ne suis pas gay. Je ne suis pas bi non plus. Je ne suis aucune autre lettre du LGBTQ. Non, c'est seulement ma tête qui me joue des tours.

Quels seraient les trois mots pour décrire ma vie? Il y aura compliquée, c'est sur. Je mettrais également étrange et... Fougueuse?

Compliquée serait pour décrire ma situation. Comment ne pourrait-elle pas être compliquée? J'ai aimé embrassé un gars. Je ne suis pas gay ni même bisexuel, mais tout de même. Qu'est-ce qui me prend?

Le mot étrange serait pour mon arrangement avec Dylan. Ça me fait étrange de simuler un couple. Je crois que je mélange le faux du vrai. Par exemple, mon cerveau ne réussit pas à faire la différence entre l'amour et l'amitié avec Dylan.

Finalement, je mettrais fougueuse. Je ne sais pas pourquoi. Sans doute à cause de ce satané baiser. Je ne suis plus capable de penser clairement et je décris ma vie avec le mot fougueuse. Quel imbécile je suis.

Je me concentre sur ma musique. J'essaie de ne penser à rien. Je ferme les yeux et pense à mes cours de demain. Je sais que j'ai un cours avec Dylan en biologie. Dylan. Notre baiser.

Je rouvre les yeux. Pourquoi est-ce que cela me fait quelque chose? Je ne comprends pas.

Je prends mon cellulaire et je fais une recherche sur internet.

J'ai embrassé un gars et j'ai aimé ça, mais je suis hétéro.

Je tombe sur plusieurs sources. Seulement, la plupart des questions sont des personnes qui demandent comment rendre un hétéro gay. Je ferme mon téléphone. Je ne suis pas gay, j'en suis sûr. J'adore regarder les filles, je suis plus à l'aise avec elles et je les trouve toujours plus gentilles. Pourquoi aimerais-je les garçons?

Je veux dire, certains garçons doivent être gentils et charmants, mais je n'en ai jamais connu. Les garçons sont plus souvent égoïstes et prétentieux. J'en suis peut-être un, mais je n'agis pas comme la majorité d'eux.

Je ferme de nouveau les yeux. Je ne suis pas gay et je ne suis pas bi. Je suis Jordan Carter, un adolescent dont la vie est assez triste, des fois pénible et quelque peu solitaire. Je n'ai pas besoin d'avoir un problème de plus en ce moment.

Je ne pense plus à rien. Je suis calme. Ma respiration est régulière et apaisante. Je suis sur le point de m'endormir que je reçois un texto. Mon cœur bat à la chamade. Est-ce que c'est Dylan? De tout mon for intérieur, j'espère que c'est lui.

Josh: Salut.

Je suis un peu déçu. Je laisse mon téléphone verrouiller et je ne prends pas la peine de lui répondre.

Je voulais tellement que ce soit mon petit ami. Pourquoi? Je commence sérieusement à douter que je ne sois pas hétéro. Peut-être qu'au fond, je suis bi. Cela expliquerait mon plaisir avec Dylan. Ça n'a pas de sens, je me dis de nouveau. N'aurais-je pas douté plus tôt? Je veux dire, j'ai dix-sept ans. Je l'aurais su plus tôt, non?

D'où vient ce plaisir ? Le plaisir d'embrasser un gars? Je veux dire, j'ai eu de la difficulté à m'habituer à Dylan. Je ne commencerai pas à essayer de m'habituer à mes prochains compagnons. Non. Je vais seulement avoir des compagnes plus tard. Point barre.

Serait-ce possible que je sois majoritairement hétéro avec un soupçon d'homosexuel? Disons que je suis un bol de céréales. Habituellement, je suis seulement le lait et les céréales. Je suis habitué à cette routine. Je prends mon bol, les céréales, le lait et je mange le tout. Puis, disons que je décide d'ajouter une poignée de sucre. Pas beaucoup, mais assez pour que ça goûte. 

Même si la métaphore n'est pas très réfléchie, il se pourrait que ce soit ce qui arrive. Je découvre que je suis hétéro avec un cinq pour-cent de gay.

Je ferme les yeux. Je me laisse penser au baiser de tout à l'heure. Le soleil qui éclairait les ruelles, le ciel bleu saupoudré de nuages blancs cotonneux et le vent froid de l'automne. Son souffle chaud contre mon visage, sa chaleur corporelle me réchauffant. Ses lèvres contre les miennes.

Que nous réserve le futur? Est-ce qu'une fois tout sera terminé, nous allons seulement passer à autre chose? Du jour au lendemain, nous allons seulement faire comme si rien ne s'était jamais arrivé?

Pourquoi ai-je accepté de faire ça? Je veux dire, il n'y avait pas vraiment de raisons à ce que j'accepte, pas vrai? J'aurais pu simplement dire non. J'avais déjà assez de ma vie de merde qui allait un peu mieux. Peut-être était-ce mon cinq pour cent qui agissaient. Oui, ça a du sens. Depuis le début de cette fichue relation, c'est mon cinq pour-cent qui a pris le dessus.

Maintenant, je sais que je dois reprendre le dessus. Je sais que je dois écraser mon cinq pour cent pour laisser mon quatre-vingt-quinze agir.

Oui, c'est ce que je vais faire.