PROLOGUE

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SILVERBERG

PROLOGUE

La douleur dans sa poitrine s'accentua au fil des foulées dans la neige qu'il essayait de cadrer sur les pas de son ancien ami. Son cœur battait à intervalles irréguliers, il trahissait le traumatisme récent qu'il avait dû endurer. L'homme n'osait pas baisser les yeux, il savait qu'il perdait trop de sang et que la situation devenait critique pour lui. Il sentait le liquide poisseux couler entre les interstices de son armure. Non, cette fois il n'y survivrait pas. La dague avait touché l'artère fémorale et la douleur le lançait à chaque nouveau pas. Mais il devait tenir, il avait une promesse à honorer.

"Enoch ! rugit-il, déterminé."

Sa cible lui lança un coup d'œil colérique, sans ralentir sa course. L'imposant paladin accéléra et bondit sur un tronc d'arbre. Il s'accrocha à la robe du fuyard qui perdit l'équilibre. Les deux hommes dévalèrent la pente l'un sur l'autre, chacun des partis essayant de garder le dessus sur l'autre. Il y eut des grognements, des mouvements de bras, des coups, des cris. Le plus grand des deux, dans son armure dorée, décrocha son épée et chercha à faucher son ennemi avec toute la force qu'il lui restait. Mais rusé, son assaillant le désarma d'un coup de poing dans sa plaie. Il repoussa le guerrier à grand coup de pied, pour dévier sa route. Les deux hommes se détachèrent, vers deux directions opposées.

Il ne vit le rocher qu'à la dernière seconde, lorsque son dos s'écrasa dessus avec le bruit similaire des lapins à qui l'on brise la nuque. Le paladin s'immobilisa deux mètres plus bas, paralysé par la douleur. Il poussa un cri de douleur et essaya de se relever, sans y parvenir. Il ne sentait plus rien sous l'impact : son dos, ses jambes. Il retomba dans la neige, le souffle haletant. Devant lui, le fuyard s'était arrêté et hésitait. Ses longs cheveux bruns dégoulinaient de sang et il n'était pas en meilleur état que lui. Sa robe rouge déchirée s'ouvrait sur des plaies béantes et sales, des ecchymoses bien plus anciennes.

Tous deux avaient vu et vécu la guerre de la même manière : dans la douleur. Le mage boita finalement vers le guerrier couché dans la neige et se laissa tomber à ses côtés.

"Tu peux bouger ? demanda t-il d'une voix qui se voulait neutre mais qui trahissait son inquiétude.

— Je ne sens plus mes jambes, répondit le guerrier d'une voix faible. Je vais y rester, tu le sais comme moi, alors cesse ton jeu, Enoch. Je ne veux pas te quitter en ennemi, pas après tout ce qu'on a vécu ensemble."

Les traits du mage se tirèrent, comme s'il avait pris dix années en quelques secondes. Il détacha doucement le plastron d'acier d'une main experte et serra les dents. Le bassin du paladin ne tenait plus que par quelques lambeaux de chair. Le choc avait été très violent et l'avait brisé en deux. Il n'osa pas y toucher, ses mains tremblaient de terreur.

"Je suis tellement désolé, Archibald... J'ai tout foiré. Tout.

— L'heure n'est plus aux excuses, vieil ami. Il faut que tu partes. Mon escouade va arriver, tu ne pourras pas les arrêter à toi tout seul. Je ne voulais pas t'effrayer, tout à l'heure, j'étais venu t'annoncer quelque chose... A propos de..."

Le mage hocha négativement la tête.

"Je ne veux pas le savoir. Je ne veux plus rien à faire avec Simaë."

Le paladin lui agrippa la robe.

"Elle est morte, Enoch. L'inquisition lui est tombée dessus, je n'ai rien pu faire. Mais... Elle venait d'avoir un enfant, et tu sais comme moi ce que ça veut dire. On a une chance de rattraper notre erreur, on a une chance de tout effacer.

— Je ne retournerais pas là bas."

Le regard du guerrier s'assombrit. Il relâcha son ami.

"Il le faut, tu le sais comme moi. Tu l'as promis. Tu as fait un pacte de sang, lui rappela le guerrier. Tu as juré de la protéger."

L'homme aux longs cheveux bruns se releva et détourna le regard. Il lui tourna le dos et fit quelques pas vers la forêt. Il s'arrêta devant les arbres et se tourna vers lui.

"La situation a changé. Tu sais comme moi que je ne peux plus approcher de Castelblanc. Je ne peux rien faire pour elle, Archibald. Elle est condamnée. Elle a trente ans devant elle, c'est déjà une belle vie. Je suis désolé, vieux frère. Tu n'aurais pas dû faire confiance à un démon. Après tout, c'est la guerre, et nous sommes dans deux camps opposés. Au revoir, Archibald."

Le guerrier tenta de ramper dans sa direction en vain.

"Enoch ! Sale lâche ! Tu salis ton propre nom ! C'est de ta faute si elle a été maudite ! C'est de ta faute ! Je ne m'arrêterais pas là ! Ton fils crèvera avec elle, tu m'entends, Lennon ?! Il crèvera avec Victoria !"

Le démon ne se retourna pas. Archibald se laissa retomber au sol, épuisé. Le bruit familier des sabots de sa cavalerie retentissait déjà, menés par Viktor. Le magister bondit de son étalon pour le rejoindre. Il jeta un regard à sa blessure, puis blêmit.

"Viktor, je n'ai plus beaucoup de temps. Dans mon... Dans mon coffre, il y a une lettre. Assure-toi que Théo l'aie à sa majorité. Empêche-le... Empêche-le de devenir paladin. Il ne doit jamais... Il... Victoria..."

Il toussa, un filet de sang coula le long de sa bouche.

"Promets-moi que tu veilleras sur eux, comme un père.

— Je te le promets. Comment... Comment veux-tu mourir ?

— Dans le cœur, un coup sec."

Le guerrier l'aida à se coucher sur le côté et lui détacha son plastron. Archibald embrassa du regard l'étendue verte devant lui.

"Des... Des ténèbres jaillissent la lumière."

Viktor dégaina son épée et essuya une larme vagabonde du revers de la main. Derrière lui, les compagnons d'arme du général Silverbeg s'étaient tus, casques retirés et épées à la main.

"Où que vous vous cachiez sur Terre, tremblez."

Ses yeux se fermèrent et il serra les poings, déterminé.

"Nous sommes les inquisiteurs !"

L'épée le traversa entièrement, le tuant sur le coup. Les hommes de main entamèrent un chant de guerre en son honneur.

SILVERBERG | Fanfiction AventuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant