CHAPITRE 1

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Hey ! Voici le premier chapitre de cette aventure qui va être riche, très riche en drama. Merci pour vos retours sur le prologue, j'espère que ce chapitre vous plaira :D

CHAPITRE 1

Le chemin de ronde de Fort Tigre avait toujours eu un effet apaisant sur Théo de Silverberg. Plus jeune, affecté à la garde de nuit pendant ses années de formation d'inquisiteur, il aimait errer sous la lumière de la lune qui calmait la colère qui l'animait constamment en ce temps-là. A bien y réfléchir, la situation n'était pas si différente : il était seul, il faisait nuit, les paysages alentours détruits ou brûlés le mettaient en colère. A quel moment la situation avait-elle dégénéré à ce point ? Lui qui n'avait jamais vraiment connu la guerre, il commençait à mieux comprendre le souhait de son père de ne pas rentrer dans les ordres.

Mais les apparences étaient fort trompeuses. Chaque pas arrachait au paladin une grimace de douleur et sa respiration sifflante pouvait s'entendre à plusieurs mètres à la ronde. Il se stoppa un instant et passa une main sur les bandages qui lui comprimaient la poitrine. Le pansement avait pris une teinte rouge sombre. Ses points de suture avaient encore sautés mais il n'en avait que cure. Immobilisé depuis une semaine dans un lit trop petit pour lui, prendre l'air était devenu un besoin vital.

Dès qu'il fermait les yeux, même quelques minutes, les cauchemars revenaient. Toujours les mêmes, toujours plus violents : le champ de bataille de Fort Tigre, Manaril, la mort de Shinddha, l'errance, le froid, sa propre mort, des centaines de fois... Même ce vieux Viktor, qu'il pensait avoir enterré au plus profond de son subconscient refaisait parfois surface pour le juger de son regard vide et mort. A ces périodes d'insomnies s'ajoutaient les flashs, pendant la journée. Un bruit d'épée, un vêtement trop bleu, n'importe quoi pouvait déclencher une crise de terreur pure. Il restait paralysé, sans la moindre explication, jusqu'à ce que quelqu'un vienne le tirer de ce creux sombre.

Balthazar avait tenu ce rôle jusqu'à son départ pour l'Académie des Mages, deux jours plus tôt. Depuis, abandonné, le paladin ne cessait d'errer dans la citadelle, le cœur déchiré entre les cauchemars et l'absence de ses compagnons. Mani se trouvait toujours à Fort Tigre. Mais l'elfe, obsédé par la vengeance, ne parlait guère plus. Théo savait qu'il partirait lui aussi bientôt, dès qu'il pourrait tenir sur ses jambes. Lui aussi aurait voulu fuir de Castelblanc, mais pour aller où ? Et pour quoi faire ? La ville avait besoin de bras pour aider à la reconstruction, il se sentait plus utile ici que sur les routes.

Dans un grognement, il se laissa tomber contre un tas de tonneaux abandonnés, en face du nid de la cocatrix partiellement brûlé quelques mois plus tôt. Il ferma les yeux un moment, profitant de l'air frais nocturne sur son visage. En vérité, le monde tanguait autour de lui depuis plusieurs minutes déjà et il ne se sentait pas prêt à remarcher tout de suite. Peut-être perdait-il trop de sang, pour ce qu'il en avait à faire. Son groupe d'amis avait explosé en miettes, tout comme l'Église de la Lumière, Kirov et Castelblanc. Un mort de plus ou de moins n'y changerait pas grand chose.

"Je savais que je te trouverais ici. Tu es incorrigible, Théo."

Il ouvrit un œil pour dévisager la jeune femme qui se tenait à la lumière de la lune. Son armure dorée brillait d'une luminosité blanche magique, en parfait accord avec sa chevelure blonde. Il n'avait jamais considéré sa sœur comme attirante, les Silverberg n'étaient pas vraiment du genre à se marier, mais elle lui apparaissait sous un jour nouveau. Victoria Silverberg s'installa à ses côtés. Ils restèrent un long moment silencieux, à contempler le ciel, avant qu'elle ne prenne la parole.

"Encore un cauchemar ?"

Théo ne répondit pas. Il n'aimait pas avouer ses faiblesses. On avait trop joué d'elles plus jeune et il ne voulait pas apparaître comme un élément faible. Les émotions, les vraies, il les gardait pour ses amis qui avaient appris à l'apprivoiser au fil des années. Il se sentait toujours un peu mal à l'aise en présence de sa sœur. Depuis la mort de leur père, les deux enfants qu'ils étaient avaient pris des routes opposées et les réunions familiales avaient fini par s'effacer au profit des missions ou de l'aventure. Alors que lui la considérait presque comme une étrangère, elle s'acharnait à le garder près d'elle. Comme pour Viktor, il rechignait à lui témoigner une réelle affection. Elle n'avait cependant pas besoin de mots pour le comprendre. Ils étaient liés par le sang et le caractère de merde légués par leurs parents. Les émotions, ce n'était pas le point fort des Silverberg.

"Tu devrais en parler au médecin. Il te donnera peut-être quelque chose pour t'aider à dormir. Tu es épuisé, Théo, il faut que tu dormes.

— Je vais bien, grogna t-il en réponse.

— Ce n'est pas ce que ta tête laisse à penser. Tu as tellement de cernes qu'on dirait que tu t'es fait un masque au charbon."

Il ne releva pas la petite pointe ironique dans le ton de sa sœur. Il savait très bien que son état ne s'améliorait pas. Il avait perdu beaucoup de poids depuis le début de sa convalescence et il peinait à mettre un pied devant l'autre. Malgré les sorts de soin, il avait toujours trois côtes cassées et ça faisait un mal de chien. Il ne comprenait pas non plus d'où venait la douleur dans sa jambe droite, qui le lançait dès qu'il la posait au sol. Le médecin était formel : aucune fracture. Il disait que c'était dans sa tête. Mais lui ne pensait plus à rien, ne vivait plus rien. Il se laissait sombrer dans une mer de mélancolie et il se noyait, lentement.

"Tu m'inquiètes vraiment, tu sais. Depuis que tes amis sont partis, j'ai l'impression que tu te laisses mourir.

— Je vais bien, répéta t-il, plus agacé.

— J'essaye de te proposer mon aide, tu sais. Je ne suis pas ton ennemie. Mais je ne pourrais rien faire tant que tu refuseras de prendre la main que je te tends. Papa m'a chargé de m'occuper de toi, il y a bien longtemps. Si tu continues sur cette pente, je serais obligée de prendre des mesures plus radicales.

— Comme quoi ?

— Il y a des discussions en ce moment, sur ta place dans l'Église de la Lumière. Je ne me suis pas encore prononcée. Mais si tu continues comme ça, je ne vois pas ce que je pourrais faire de toi."

La remarque, cinglante, lui glaça le sang. Elle faisait ça pour le pousser à réagir, il le savait parfaitement. Son front se plissa et son visage se fit plus dur.

"Ne rigole pas avec ça.

— Mais je ne rigole pas. Si tu ne te reprends pas, tu seras trop faible pour assurer le rôle de troisième des ordres, tu le sais comme moi. Ça ne me fait pas plus plaisir qu'à toi, mais nous sommes affaiblis et chacun de mes gestes est scruté. Je suis la première femme à la tête des ordres depuis deux cents ans, c'est normal que je cherche à asseoir mon autorité. Tu comprends ?"

Le paladin poussa un grognement d'approbation. Victoria lui ébouriffa gentiment les cheveux et se redressa. Elle attendit que le guerrier en fasse de même mais il ne bougea pas, l'air désolé. La jeune femme poussa un soupir.

"Tu as encore ouvert tes points, pas vrai ? Bon sang, Théo..."

Elle s'accroupit près de lui posa ses mais sur sa plaie pour y apposer un énième sort de soin. La plaie était trop grosse pour être fermée avec la magie, mais elle se fermait trop lentement au goût de Théo qui ne supportait plus sa chambre. Victoria lui saisit un bras et l'aida à se redresser. Ils marchèrent en silence jusqu'à l'entrée de Fort Tigre et elle le raccompagna ensuite jusqu'à sa chambre. Le lit poussa un cri plaintif lorsque le paladin se jeta dedans. Victoria le borda comme un enfant.

"Tu te rappelles de Papa ? lui demanda t-elle soudain."

Théo releva la tête vers lui, surpris.

"Bien sûr... Pourquoi ?"

Elle hésita quelques secondes avant de s'asseoir sur le rebord du lit du paladin. Elle posa une main sur celle de Théo.

"Depuis quelques semaines, je fais des cauchemars à son sujet. C'est idiot, je sais, mais... Ils ont l'air réel. Trop réels. Mais c'est... C'est sans doute rien, ne t'inquiète pas.

— Ils racontent quoi ?

— Je ne comprends pas vraiment. De pierres étranges, d'une sorcière et d'un démon. D'un sacrifice aussi. Ce ne sont que des morceaux, jamais dans le bon ordre."

Théo secoua la tête.

"Je vois pas Papa traîner avec un démon et une sorcière.

— Moi non plus. C'est sûrement les récents événements qui me perturbent. Allez, je te laisse te reposer. Et dors."

Le paladin leva les yeux au ciel et souffla sa bougie. Plongé dans le noir, il se perdit dans la contemplation du plafond alors que les minutes s'égrénaient. Il ne réalisa qu'à l'aube qu'il venait de passer une nouvelle nuit blanche.

SILVERBERG | Fanfiction AventuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant