Prologue

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Une silhouette se tient au bout de la jetée sur le ponton, où les vagues viennent s'échouer sur les poteaux de bois recouverts d'algues. Elle fixe son regard sur l'étendue qui s'offre face à elle sans paraître réellement la voir. Les éléments ne semblent pas l'incommoder, car elle reste là, immobile, malgré les vibrations du ponton sous ses pieds et les bourrasques de vent qui soulèvent ses cheveux lâchés. Longs, de la couleur rougeoyante d'un coucher de soleil, ils encerclent son visage, le dégageant et le fouettant sans que cela ne paraisse la gêner.

Que fait-elle ici ?

Qu'attend-elle ?

A-t-elle une personne qui a traversé le vaste Océan et qui n'est toujours pas revenue, sombrée dans les eaux sombres de cette étendue liquide et capricieuse ?

Ou est-elle venue pour une tout autre raison ?

De mon point d'observation je peux la détailler à loisir sans qu'elle-même ne puisse me rendre voir. Cette vision m'intrigue plus que je ne veux l'admettre. Beaucoup de personnes viennent ici pour contempler l'océan, mais rares sont ceux qui attirent vraiment le regard.

Elle ressemble à un soleil éteint au cœur même des éléments. Non, plutôt sur le point de s'éteindre. Car elle oscille entre deux mondes : la terre ferme et l'océan impétueux. Sa décision n'est peut-être pas encore définitivement prise à cet instant.

Elle lève alors les yeux vers le ciel voilé de nuages sombres annonciateurs d'orage. Le vent violent les porte vers elle. Gorgés d'eau, ma seule volonté fait chuter la pluie. Quelques gouttes commencent à déborder des lourds nuages pour marteler le crâne de la jeune fille. Une bourrasque plus forte que les précédentes caresse ses cheveux libres, lui fouettant le visage sans qu'elle n'éprouve aucun inconfort, ni gêne ou douleur particulière.

La jeune femme porte son regard vers l'eau qui clapote de plus en plus fort sous le ponton et sous ses pieds. La pluie se mêle à la mer perturbant sa surface déjà troublée par la houle. En observant cette mer agitée sous ses pieds, elle fronce légèrement les sourcils. Elle ne discerne rien : ni son reflet, ni même les pieux s'enfonçant profondément dans le sable. Pas de miroir aujourd'hui pour accorder son calme à son ressenti. Pour lui rendre son image.

La pluie glisse sur le bout de ses chaussures, y dessinant des arabesques compliquées, alors que le tissu de ses vêtements s'imbibe progressivement d'eau, les rendant plus sombres goutte après goutte.

Elle inspire profondément. Puis elle ferme les paupières, comme ces plongeurs qui font le vide avant de se jeter dans l'eau. Elle étire ses bras et bascule vers l'avant, dans l'océan glacé.

Son corps perce la surface aqueuse et tourmentée. Elle relâche brusquement l'oxygène qu'elle a vainement pris au moment de sauter, une habitude, un réflexe humain, avant de s'immerger, certainement au choc de la différence de température. Sa fin ne sera que plus rapide. Elle observe les bulles chargées de cette précieuse molécule vitale retourner avidement à la surface, tandis que ces chaussures montantes se gorgent d'eau, ses vêtements et son être tout entier se lestent pour la couler plus vite encore.

La jeune femme ne se débat même pas. Résignée, vidée de son énergie et de son oxygène, elle s'enfonce rapidement. Elle plisse les yeux, mais les siens ne sont pas les miens : elle ne peut guère voir plus loin que ses mains. L'océan trouble charrie algues et déchets. Bientôt il emportera également le corps de cette fille, par le fond avant de le relarguer quelque part sur une plage, sans vie.

Ce spectacle me chagrine. Qu'a-t-il pu lui arriver pour que pareil geste puisse lui traverser l'esprit ? La vie est si éphémère. Je me décide à la rejoindre malgré l'interdit. Je ne peux pas rester à la voir s'éteindre sans rien faire. Sans difficulté malgré les eaux tumultueuses m'entourant, je réduis la distance qui nous sépare en quelques brasses. Ses paupières se plissent, tentant probablement de discerner ce qui s'approche d'elle, avant que ses lèvres s'ouvrent et que l'eau s'engouffre dans ses poumons, avalé par l'Océan. Je la saisis par la taille : l'eau porte une partie de son poids, mais elle me paraît tout de même bien légère. Je nous ramène à la surface où elle pourra remplir à nouveau ses poumons d'air, avant de la porter jusqu'à la rive.  

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant