Chapitre 12 - Souvenirs

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Cette session d'essayage et de shopping m'a rappelé des souvenirs. Plus jeune, j'adorais essayer plein de vêtements différents. Je me moquais de la couleur, de la coupe, de la saison, je portais tout et n'importe quoi juste parce que je le pouvais. Ma mère adorait me voir essayer toutes ses choses et cela la faisait rire de me voir avec des gants de couleurs et de longueurs différentes à chaque main, avec mes bottes, une écharpe bariolée et un bonnet alors que j'étais en short et en tee-shirt. Mon frère était encore petit et cela le faisait rire également. Mon père trouvait cela idiot, mais du moment que cela nous faisait rire, il ne disait trop rien et riait avec nous.

Je n'aimais pas particulièrement la mode et encore aujourd'hui, je ne m'habille qu'avec ce qui me plait. Pourtant, ma mère arrivait à me faire porter des robes, choses que je n'aime pas vraiment, ne me sentant pas vraiment à l'aise, mais surtout de couleur bleue. J'en avais une dizaine différente dans mon armoire, qu'elle avait choisie pour moi. Aujourd'hui je ne les porte plus. La dernière que j'ai porté, c'était pour son enterrement. Une robe bleue nuit, aux manches en dentelle, sombre comme un ciel sans étoile, mais elle était bien bleue.

Nous avons cessé de rire dès le jour où nous avons appris qu'elle était malade, d'un cancer. Ce qu'on ne dit pas dans ces moments-là, c'est que, lorsqu'une personne est atteinte de cancer, c'est toute la famille qui est touchée. Et c'est éprouvant. Pour tous.

Au début, tout allait bien. Elle s'alimentait normalement, peut-être un peu moins en terme de quantité, mais elle insistait pour manger avec nous. Puis à chaque séance de chimiothérapie, elle était affaiblie et n'arrivait rien manger. Le peu qu'elle parvenait à avaler finissait invariablement dans les toilettes. Elle maigrissait à vue d'œil et les rires ont rapidement désertés la maison, comme les rats quittent un navire en perdition. Pourtant elle souriait toujours, même faiblement. Elle tentait de nous faire sourire, alors que cela aurait davantage été notre rôle. Mais la voir pâle comme la mort, les joues creuses et la peau aussi épaisse qu'un parchemin nous rendait tous les trois malades.

Au lycée, tous mes camarades avaient remarqué que j'avais moins le moral, pourtant je continuais de pratiquer le sport et même plus qu'auparavant. Le cheerleading me permettait d'évacuer toute cette tension, bien que le cœur n'y fût plus. Même mes notes ont dégringolé. Mes professeurs m'ont même demandé ce qui n'allait pas, car j'étais une assez bonne élève. Mais je n'arrivais pas leur dire ce qui n'allait pas. Cela m'aurait fait passer pour une sorte de profiteuse : « ma mère est malade et ça me brise le cœur. Je ne sais pas si elle va s'en remettre ». Je ne voulais pas de leur pitié, ni de traitement de faveur.

A la maison, pourtant, je refaisais ces défilés idiots que j'affectionnais petite : je faisais même des cabrioles, des roues dans le couloir, des grands écarts et poiriers. J'étais même parvenue à entraîner mon frère dans cette aventure. Ma mère riait avec moins d'énergie, son rire cristallin et communicatif avait perdu en force, mais sa joie était toujours là. Mon frère retrouvait le sourire pour quelques minutes. C'était l'essentiel pour moi. Mon père se montrait rarement, trouvant cela encore plus stupide maintenant que j'étais presque une « adulte ». Mais j'en avais besoin. Nous en avions tous besoin. C'est peut-être à cause de cela qu'il m'a toujours reproché la mort de maman. Parce que le peu d'énergie qu'elle avait encore, je la lui faisais dépenser en rire inutile.

Pourtant, cela n'a pas suffi. Elle est décédée dansson lit, à la maison. Ce jour-là, quelques instants plus tôt, elle m'avait faitpromettre de prendre soin de mon frère. Chose à laquelle j'ai lamentablementéchoué.

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant