Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)

Chapitre 28

Je passe le mois de décembre à réviser pour préparer les examens, en compagnie d'Anna. Les week-ends, je vois Cole et Soren, qui a fini par m'accepter. Je suis moins mal à l'aise, et il nous arrive même de rire ensemble. Ils m'apprennent des choses sur leur monde et sur la magie, mais je ne rencontre aucun autre membre de leur espèce. Parfois je me dis qu'ils sont les seuls au monde, et d'autres fois qu'ils veulent protéger leur famille. Ou peut-être est-ce moi qu'ils essayent de protéger ? Une humaine qui côtoie des tritons, dans leur monde ça ne doit pas être très bien vu. Lorsque je les interroge, ils me répondent :

— C'est dangereux de rencontrer les autres. Ils sont...

— Dangereux ? Si le Roi l'apprenait, il te détruirait Axelle, rétorque Soren avant que Cole ait terminé sa phrase.

— Le Roi ?

Soren s'apprête à dire quelque chose, mais le regard que lui lance Cole lui fait crisper la mâchoire et l'empêche de poursuivre.

— Pour quelles raisons ? Je suis inoffensive.

— Il a ses raisons...

Face à cette réponse évasive, je n'insiste pas. Je comprends qu'il puisse avoir des griefs contre l'humanité. Je commence d'ailleurs par les lister dans ma tête : la pollution des océans, qu'elle soit plastique, liée à des hydrocarbures, la pêche et la surpêche avec certains engins qui détruisent toute la diversité des profondeurs... Oui je peux comprendre qu'au vu du CV de l'humanité, il ne puisse pas affirmer qu'en tant qu'individu je sois inoffensive.

Ce que je ne comprends pas néanmoins, c'est la relation qui lie Cole et Soren. Ils ne me semblent pas être de la même famille, ils ne se ressemblent pas vraiment. Ils sont à la fois des amis de longue date et en même temps, leur relation est teintée d'un respect. De plus, il y a cette étrange façon de détourner la conversation du Roi, avec dans la voix une sorte de crainte. Ils doivent le connaître personnellement, et peut-être sont-ils proches de lui ? Je garde toutefois ces questions pour moi, les poser ne me semblent pas judicieux.

Les vacances commencent ce soir, et avec Helena, Luc et les services sociaux, j'ai choisi d'aller me recueillir sur la tombe de mon frère et de ma mère. Ils ont déjà réglé tous les papiers et payé mon voyage pour retourner à Chicago pendant 3 jours, juste avant Noël. Le départ est demain. Cela fera tout juste un an que mon petit frère aura quitté ce monde.

La veille je me rends au kiosque avant d'aller en cours et attends la venue de Cole. Lorsqu'il me rejoint, il me paraît nerveux. Les cernes sous ses yeux m'indiquent qu'il est fatigué. Je lui annonce que je pars pour quelques jours mais que je reviendrai et il acquiesce, mais je le vois se crisper. Lorsque je lui demande ce qu'il y a, il m'affirme que tout va bien, mais je n'en suis pas vraiment convaincue. J'insiste un peu et il finit par me parler de la raison de sa nervosité :

— Je veux t'offrir quelque chose mais...

— Mais... ?

Je le vois chercher ses mots et les cernes sous ses yeux bleus qui me semblent très pâles me rappelle la fois où il a sauvé Sam et utilisé la magie jusqu'à ce qu'il tienne à peine debout. Je reprends avant qu'il ne puisse me répondre :

— Tu m'as l'air... Exténué. Est-ce que je peux t'aider ? Je... Tu peux prendre un peu de mon énergie si tu veux.

A ce moment, je me sens rougir. Dire cela à voix haute me fait me sentir stupide. Pourtant, il ne rit pas, il s'approche de moi et embrasse le sommet de mon crâne. Il m'annonce alors d'une voix ténue :

— Je sais... J'ai quelque chose à te donner. C'est... Très personnel... Chez moi, on dit que c'est la plus grande preuve d'amour que l'on puisse donner, même si l'amour est quelque chose que l'on montre assez peu... Malheureusement, cela nous rend très vulnérable. Enfin au début... Et j'ai peur que si tu te trouves trop loin...

— Cole. Ça peut attendre encore quelques jours. Je ne veux pas que tu souffres où que tu disparaisses alors que je me retrouve à des centaines de kilomètres d'ici. Je reviens dans trois jours, juste avant Noël et puis... Je n'ai rien à t'offrir moi...

Et ce n'est pas faute d'avoir j'ai cherché ! Mais que peut-on offrir à une personne qui vit sous l'eau ? J'avais pensé à un bijou mais je ne sais pas s'il le porterait et puis... Qui sait ? C'était peut-être mal vu de là d'où il vient. Il prend ma main et la serre dans la sienne, et fixe nos deux mains liées ensemble d'un regard vide.

— Tu me promets de revenir ?

— Oui. Je vais juste... Revoir ma famille, terminé-je dans un murmure, ma gorge se serrant douloureusement.

Il serre plus fort ma main avant de reprendre :

— Excuse-moi... Je me sens si égoïste...

— Tu ne l'es pas ! Je vais revenir, mais avant... J'aimerais que tu reprennes des couleurs... Enfin...

Mon visage s'échauffe. La main de Cole se pose sur mon visage et je le vois secouer la tête. J'ai un pincement au cœur : je me sens impuissante de le voir dans cet état alors que je sais qu'il pourrait y remédier. Si j'avais moyen de le forcer, je le ferai. Mais d'après lui, les humains n'ont pas de magie...

Je regarde l'heure sur ma montre : si je veux arriver à l'heure au lycée, il faut que je parte dans quelques minutes. Je me lève du banc, entraînant Cole avec moi. Son manque d'énergie me fait de la peine. Je l'embrasse et j'y mets tous mes sentiments pour lui. Le voir dans cet état me brise le cœur et le fait de rien pourvoir arranger me fait mal. Et pourtant, à cet instant, je sens quelque chose qui passe entre nous, me quittant moi pour aller vers lui. Lorsque je m'en aperçois, tout s'arrête. Cole me tient pas les épaules et m'écarte de lui, les yeux écarquillés. J'ai l'impression qu'il a repris des couleurs, et ses cernes moins sombres.

— Axelle c'est...

Il laisse sa phrase en suspend. Je le fixe quelques instants et je souris. Je ne sais pas si c'est lui qui a inconsciemment utilisé sa magie sur moi ou si je l'ai poussé à la prendre. Je m'approche de lui mais il me maintient à distance, une lueur d'inquiétude dans le regard. Lorsque je lui demande s'il se sent mieux, il acquiesce mais ne prononce pas un mot, perdu dans ses pensées. Je finis par partir en lui promettant de revenir dans quelques jours.