Chapitre 3 - Pensées

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Plusieurs jours s'écoulent avant que je ne trouve l'énergie nécessaire pour sortir de ma torpeur et de mettre à nouveau le nez à l'extérieur. Le fait de m'aérer un peu le corps et l'esprit me permet également de chasser au loin les tristes pensées qui m'habitent.

Au fil des jours, je finis par me décider à retourner sur la baie, à l'instar d'un tueur revenant sur les lieux de son crime. Cela m'apporte une dose de culpabilité encore plus grande, de regret mais également de l'espoir. Car si j'ai la possibilité d'avoir une seconde chance, il ne me reste qu'à découvrir quoi en faire. C'est à ce moment-là que je décide de revenir ici tous les jours.

Ainsi, chaque matin, j'emprunte le chemin vers la baie. Je retrace le chemin de la jetée et retourne à l'endroit où je me suis réveillée. En règle générale, les lieux sont déserts. Je m'y repose, reprends mon souffle et m'étire sur le sable avant de repartir dans l'autre sens pour rentrer auprès de ma famille d'adoption. Aujourd'hui je décide de rester un peu plus longtemps assise à contempler les vagues et à écouter le murmure de la houle s'échouer sur le sable. L'odeur entêtante de l'iode me débouche les sinus, m'aidant à mieux respirer, à m'apaiser et à ordonner mes pensées. Il n'y a qu'ici que je parvienne à me focaliser sur autre chose que la peine qui m'habite, même si les souvenirs et la culpabilité revienne à la surface une fois rentrée, comme sous l'emprise de la marée.

Les Clearwater m'ont recueilli après l'accident qui a détruit ma famille à Chicago. Ils sont adorables avec moi, même si je me terre dans le silence depuis mon arrivée. Ma situation est sans doute insoluble pour eux. L'avantage de vivre avec eux, c'est que je me retrouve suffisamment loin de mon point d'origine pour que personne ne puisse connaître mon histoire.

Je ne leur facilite pas la tâche malheureusement en me murant dans le silence. Le premier pas doit venir de moi. Et ils me laissent le temps et l'espace dont j'ai besoin pour digérer les événements. Or à chacune de mes tentatives pour m'ouvrir à eux, je me retrouve dépourvue de mots lorsque je dois évoquer ce qui va mal. Je ne me sens pas prête à me confier, j'ai peur qu'ils me rejettent. Pourtant ils savent ce qu'il s'est passé puisque c'est inscrit dans mon dossier. Or le poids de la peur et de la culpabilité me pèsent sur le cœur et les épaules et je n'arrive pas à m'en débarrasser.

Perdue dans mes pensées et dans la contemplation de l'océan, mon regard dérive vers l'endroit où je me suis réveillée. Par quelle action ai-je pu me retrouver à cet endroit précis ce jour-là alors que les courants portent plutôt vers l'autre direction ? Je me prends à douter de ce que j'ai entendu et aperçu. Peut-être ai-je rêvé ? Peut-être me suis-je débattue et suis revenue par mes propres moyens sur la berge ? Je ne sais malheureusement pas nager mais il s'avère que l'être humain est bourré de ressources lorsqu'il s'agit de sa propre survie.

Je secoue la tête pour chasser ces pensées. Il me faut essayer d'aller de l'avant. Courir tous les jours est la première étape. La seconde sera d'accepter le reste, de laisser le passé derrière moi. Et surtout, d'arrêter de culpabiliser.

Sur ces tristes pensées, je me redresse, époussette mes vêtements pour en retirer le sable, tourne le dos à la mer et reprends ma course de retour. 

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant