Chapitre 7 - Dépérissement

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Le même cauchemar revient me hanter chaque nuit. Et chaque nuit, je me sens impuissante, à la merci des éléments et me réveille en nage dans le lit de ma chambre. Helena et de Luc me dévisagent un peu plus de jour en jour, remarquant mes cernes qui ne font que se creuser davantage sous mes yeux, mais je n'ai pas le cœur de leur parler de ce qui ne va pas. Comment leur annoncer que j'ai peur de revivre la même situation ? Que je suis terrifiée malgré le fait qu'ils soient bien différents de la situation que j'ai connue ? Je ne veux pas les priver de leur rêve de fonder une famille, mais dois-je pour cela mettre mon propre bien-être en danger ?

Je passe encore plus de temps à me dépenser lors de mes joggings matinaux, en espérant que cela m'apportera la sérénité d'une nuit sans rêve. J'espère toujours y croiser Cole. Il est devenu une sorte de repère pour moi. Un phare dans l'obscurité de mes pensées. Il est adorable avec moi même si je vois l'inquiétude briller dans ses yeux lorsque je ne me confie pas à lui. Il me demande tous les jours comment je me sens et a sans doute remarquer que je dépéris à vue d'œil. Je n'ai plus d'appétit, un nœud perpétuel est présent dans ma gorge et mon estomac ; je fais à nouveau des crises de panique dans la sécurité de ma chambre... Je ne me vois pas lui parler de mes angoisses, ni à lui, ni à personne. Que pourrai-je leurs dire, si ce n'est que je ne me sens pas capable d'être sous le même toit qu'un autre enfant ? Que j'ai peur que le passé se remette à jouer sous mes yeux. Même si je sais que les Clearwater ne me demandent pas d'agir comme une sœur, ils m'ont accueilli chez eux, m'ont demandé mon avis... Je ne peux pas juste passer à côté de lui et l'ignorer comme s'il n'était pas là. Il a sans doute lui aussi vécu des événements qui l'ont probablement retourné... On atterrit rarement en famille d'accueil sans raison. Et dire que je n'ai même pas cherché à en apprendre plus sur ce garçon qui doit venir... Peut-être que cela suffirait à calmer une partie de mes angoisses ?

*

Ce matin, alors que le même cauchemar m'assaille encore et que je me réveille la peur me tenaillant les tripes, les larmes dévalant silencieusement mes joues, je me décide à parler. Pas Helena ou Luc, qui sont impliqués et qui pourraient regretter que je n'ai pas décidé de m'ouvrir plus tôt à eux, ou me le reprocher dans le pire des cas... Plutôt à une personne extérieure, qui ne connait pas ma situation ou mon passé.

J'ai refusé de voir un psychologue lorsque je suis arrivée chez les Clearwater. Ressasser continuellement le passé ne me semble pas très « sain » comme méthode, bien que cela paraisse fonctionner pour certains. Et je le fais très bien toute seule. J'ai déjà eu l'occasion d'en voir une et cela a été un désastre : je me sentais plus mal de jour en jour au lieu d'aller mieux.

Un coup d'œil à mon réveil m'indique l'heure plus que matinale : 5h19. Je me lève et m'habille afin d'aller courir. Mon cerveau tourne à plein régime, rejouant ce cauchemar que je m'efforce de repousser aux confins de mon esprit. Mes jambes me portent sur la route habituelle. J'arrive finalement sur la plage où Cole n'est pas encore arrivé. J'ai un pincement au cœur en notant son absence. Je me rends compte à quel point sa simple présence est devenue importante pour moi.

Je m'assois sur le sable face à l'océan, reportant mes étirements à plus tard, lorsque je serai de retour à la maison. Je sens les larmes me monter aux yeux, j'entends le tambourinement affolé de mon cœur dans mes oreilles, un poids se resserre autour de ma gorge et m'étouffe : je fais une crise de panique. J'essaye de respirer calmement, pour tenter d'apaiser les symptômes, mais cela ne fonctionne pas. Mes poumons ne sont plus capables d'emmagasiner de l'oxygène. Mon souffle est erratique et ne fais qu'exacerber ma panique. Je perçois alors la voix de Cole sans comprendre le sens de ses paroles, puis la pression de ses bras qui m'enlacent et me bercent. Ma tête repose sur son buste et le mouvement de sa respiration a un effet apaisant sur moi. Je perçois les vibrations de sa voix dans sa cage thoracique et l'entends me murmurer des paroles pour m'aider à me calmer. Je me laisse poster par ses directives. Son odeur, chargée d'iode, m'emplie les narines et ma respiration, au bout d'un long moment, s'apaise pour redevenir normale. Du revers de la main, j'essuie les larmes qui ont dévalé mes joues pendant ces quelques minutes d'angoisse intense où j'étais incapable de me maîtriser. Je resterai volontiers dans ses bras pour ne plus avoir à bouger et à souffrir, mais je le repousse doucement d'un mouvement d'épaules et le remercie d'un murmure.

— Est-ce que ça va mieux ? me questionne-t-il.

Je hoche la tête et remarque alors que ses cheveux sont trempés, comme s'il sortait de la douche. Chose que je trouve assez étrange, puisqu'il fait encore assez frais. Je l'observe quelques secondes et note l'inquiétude dans son regard, qui me transperce le cœur. Je lui dois une explication. Je détourne la tête avant de prendre une inspiration pour me justifier.

— J'ai... commencé-je sans trop savoir par où commencer. J'ai tendance à faire des crises de panique quand je me sens... Angoissée. Ou stressée. C'est ce qu'il vient d'arriver... Je suis désolée. En général, j'arrive à me calmer mais... Je suis épuisée...

Mon discours, même à mes oreilles, ne me semble pas très cohérent. Je soupire.

— Je ne vais pas te juger pour quelque chose que tu ne peux pas contrôler. Mais si tu as besoin d'une oreille, je peux t'écouter et peut-être soulager un peu ta peine.

Ses paroles et sa voix ne sont pas chargées de reproches ou de répliques toutes faites. Elles mettent en évidence sa gentillesse et cela me réconforte. Je me remets à pleurer, tellement je me sens idiote de ne pas avoir le courage de lui dire ce qui ne va pas.

Il passe alors sa main dans mon dos et m'attire à lui. Je remarque que c'est la première fois depuis plusieurs mois qu'une personne me touche ou me prend dans ses bras, les médecins ne comptant pas vraiment. Mes larmes laissant un goût de sel sur mes lèvres avant de tomber sur son pull. Cole dégage la même odeur que la mer. À cette pensée je souris. J'ai toujours trouvé étrange que les larmes soient salées comme l'océan. Dans certaines légendes, il doit y avoir un phénomène relatant cette concordance. Un dieu ou une déesse, tellement dévastée par le chagrin, que ses larmes en ont recouvert la terre.

Une fois que je n'ai plus de larmes à verser, je me redresse et essaye de lui expliquer la situation. Ma peur de ne pas être à la hauteur. D'être rejetée par les Clearwater. Ce qui me paraît encore plus idiot énoncé à haute voix. Mais Cole est au-dessus de tout cela et m'annonce sans méchanceté :

— Tu te mets beaucoup de pression. Tout ce que tu as à faire, c'est d'être comme tu es. Ce garçon est très probablement comme toi, il marque une pause avant de reprendre : totalement perdu. Tu as juste à être présente pour lui et tout se passera bien.

Je le regarde, puis je ris, parce que c'est ce que j'ai besoin d'entendre. Et cela me rappelle les mêmes paroles que ma mère a énoncées, il y a longtemps. Je le remercie et je l'entends me dire :

— C'est moi qui te remercie. Accorder sa confiance et s'ouvrir à quelqu'un, cela demande beaucoup de courage.

Je rougis et même mes oreilles s'échauffent sous son compliment lorsque je bafouille :

— Si tu as besoin de parler, n'hésite pas non plus.

Il acquiesce puis rit aux éclats devant ma minerougie. Je le bouscule de l'épaule puis me mets à le frapper gentiment pourqu'il arrête de rire. Chose qui, évidemment, n'a pas l'effet escompté et nefait qu'amplifier son rire. Je me joins à lui à en avoir mal au ventre, auxjoues, jusque dans la nuque. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas risautant. A bien y réfléchir, cela doit bien remonter à quasiment une année enarrière.

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant