Le week-end est là et lorsque mon réveil sonne pour m'annoncer qu'il est temps de me lever pour aller courir. Je l'éteins sans énergie. Depuis plusieurs jours, je me sens amorphe, vidée, comme si on m'avait pris quelque chose sans être capable de mettre le doigt dessus. Pourtant c'est important j'en suis persuadée. Je suis d'une humeur maussade et tous l'ont remarqué. J'ai l'impression d'être à nouveau dans la mélasse, mes membres sont gourds, je tombe de sommeil sans le trouver et je me sens étrangement éteinte. J'ai la sensation d'errer dans la brume constamment.
Je m'efforce de me lever sans aucune envie de réaliser mon jogging, mais il le faudra bien. J'enfile ma tenue avant de sortir par la porte d'entrée discrètement.
À l'approche de la mer, j'ai le cœur qui se serre, sans trop en connaître la raison. Les embruns me sont familiers, tout comme le roulis des vagues et pourtant quelque chose manque. Lorsque je fouille dans ma mémoire, je suis incapable de m'en souvenir. Des larmes de frustration viennent flouter mon champ de vision. Quelque chose manque à ce tableau, j'ai le cœur brisé, en morceaux. De rage, j'efface les larmes de mon visage avant de mettre cette énergie à profit pour rentrer.
Anna passe à la maison en début d'après-midi pour que nous allions toutes les deux sur la plage. Je ne me sens pas très bien à cette idée, mais comme c'est pour le thème de l'exposition et qu'elle me veut absolument comme modèle, je n'ai pas eu le cœur de refuser. Surtout que pour une fois, la météo se prête bien. Dans mon sac je glisse mon carnet à dessin et en retire la pochette contenant mes œuvres que j'avais présenté à Pat et que je n'avais toujours pas retirée. Peut-être que je serai inspirée face à l'étendue aqueuse. Cela fait plusieurs jours qu'aucun de mes croquis ne me satisfait et cela se répercute même dans les cours de dessin. Je n'ai goût à rien. Je secoue la tête pour déloger ses pensées.
En descendant les escaliers, la sonnette retentit et j'ouvre la porte sur Anna, pétillante d'énergie. Sans attendre elle me traîne dehors, son appareil photo autour du coup, le soleil donnant des reflets mordorés à ses cheveux.
Nous marchons en direction de l'océan et je me sens de plus en plus attristée, finissant par répondre uniquement par monosyllabe à Anna. Celle-ci remarque mon changement graduel d'humeur :
— Pat m'a dit que c'est toi qui lui as donné l'idée du thème de l'exposition. C'est grâce au dessin que j'ai ajouté ? Je t'avais dit que tu avais du talent !
Je me souviens avoir été fâché lorsque Pat a mis au jour l'un de mes dessins, une aquarelle, mais je suis incapable de me souvenir de ce qu'il représente. Lorsque j'essaye de me rappeler, c'est comme essayer d'attraper la fumée d'une bougie dans ses mains sans se brûler. La chaleur finit par être douloureuse. Face à mon trouble, Anna finit par me demander :
— Qu'est-ce qui va pas ? Depuis quelques jours tu es toute mollassonne...
— Je... Je suis juste fatiguée, présumé-je.
— Il t'a brisé le cœur c'est ça ? Je le savais ! Je vais lui faire la peau !
De qui parlait-elle ? Plutôt que de poser la question, la mer se dessine dans notre champ de vision. Un sentiment de panique me gagne, mais j'inspire profondément l'air marin, chargé d'iode, et cela m'aide à faire refluer la panique.
Je change de sujet :
— Tu as des idées d'endroit ? Pour tes photos ?
— Absolument... Aucune ! m'annonce-t-elle avec un clin d'œil complice. Mais mon modèle c'est toi alors je te suis.
Je souris timidement, mal à l'aise, laissant mes pas me porter jusqu'au kiosque. Quelques personnes se promènent sur la jetée et le ponton, le beau temps faisant sortir les badauds. Je m'installe et Anna commence à régler son appareil, photographiant la mer, les gens, et moi que j'espère le moins possible. Mon matériel à dessin en main, je tourne les pages de mes divers croquis anciens, qui montrent déjà cette place que j'ai choisie et bien d'autres. Les plus récents dégagent moins d'entrain, moins de vie et cela me désole. Il me manque quelque chose et me retrouver ici me donne l'impression de pouvoir toucher cette partie manquante sans savoir ce que c'est.
Mon regard tombe sur le ponton. Un frisson me parcourt, parce que j'y suis déjà venue, je le sais. Et pas qu'une seule fois : j'en ai la certitude, mais je ne m'en souviens pas. Je me sens attirée par une force et je me laisse porter par mes jambes pour m'y avancer.
Je me fige sur la terre ferme, à un pas des premières planches qui s'élancent vers l'océan, une peur panique me gagnant. J'ai déjà éprouvé cette terreur. Pourquoi ? Mais la réponse à cette question se trouve plus loin, alors je m'avance, posant le pied sur les planches de bois grinçant sous mon pas. Il n'existe plus que ce ponton, l'océan et moi. Même le bruit des vagues s'est tu. Seuls les embruns sont présents et m'entourent de leurs particules, de leur odeur. Plus forts vers la balustrade, tant en densité qu'en fragrance, comme si cette agglutination de particules trace les contours d'une silhouette. Je m'arrête à côté d'elle, face à l'océan, là où aucune balustrade ne m'en sépare. J'avance un pas dans le vide lorsque la main et la voix d'Anna me sortent de ma transe.
— Axelle ! Ça va pas ?
Elle me tourne face à elle à la manière d'une mère s'apprêtant à disputer son enfant, mais elle se fige.
— Tu pleures ?
Je porte une main à mon visage et remarque alors le liquide chaud et salé qui s'écoule de mes yeux.
— Je...
Mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'Anna me prend dans ses bras. Mes dernières barrières se brisent en moi et j'éclate en sanglots au creux de son épaule, sans savoir pour quelles raisons je pleure, mais une douleur bien réelle dans mon cœur, comme un manque, un vide. Quand finalement mes sanglots cessent, Anna me raccompagne à la maison et je m'effondre sur mon lit, elle s'installe à mes côtés, inquiète. Elle tente de me changer les idées et j'essaye de jouer le jeu, mais cette explosion de larmes au lieu de m'apaiser, n'a fait qu'amplifier mon mal-être.
Elle finit par s'allonger à mes côtés, plongeant ses yeux dans les miens, posant des questions muettes auxquelles je ne peux pas répondre. Je lui raconte alors l'impression que j'ai eue sur ce ponton, la peur qui m'a saisi aux corps et l'impression que quelqu'un m'y attendait. Avant de presque basculer dans le vide et qu'elle ne me retienne.
— Est-ce que c'était - ?
Je ne comprends pas le mot qu'elle prononce. Je la vois articuler un mot, mais aussitôt arriver à mes oreilles, l'information se perd dans les circonvolutions de mon cerveau. Pourtant, cette absence de son, résonne néanmoins en moi et me brise le cœur, m'empêche de respirer, à l'instar d'un coup de poing projeter dans mon ventre. Les larmes, encore elles, me viennent et je suis incapable d'en endiguer le flux. Anna me prend doucement dans ses bras et me caresse les cheveux et le dos, pensant à raison que c'est un sujet sensible, mais que je suis incapable de reconnaître.
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Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)
ParanormalCette cover a été réalisée par LillyX572 : merci <3 Cette histoire est une réécriture contemporaine du conte de "La petite sirène". Le prologue reprend un writting prompt que j'ai trouvé et qui m'a inspiré cette nouvelle histoire, mais je l'ai m...