Chapitre 45 - Entretien

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Nous évitons de nous approcher de trop près de l'Océan, nous tenant éloigner la plupart du temps de cette étendue aqueuse. Soren reste souvent à faire le guet que ce soit sur la terre ferme ou dans la mer. Cette impression que nous n'avons plus la possibilité d'être simplement ensemble me dérange. Alors que les vacances de printemps sont enfin là et que je peux les voir plus longtemps qu'à l'accoutumé, le temps que nous passons ensemble se réduit à peau de chagrin.

Et bien qu'ils m'expliquent que c'est parce qu'ils craignent d'être sous surveillance, je ne peux m'empêcher d'être un peu triste.

Ce matin, ni Cole ni Soren ne sont présents. Je suis retournée l'après-midi au bord de l'océan, avec mon carnet à dessin et je me suis installée dans le kiosque, pour reproduire ce que je voie.

Suite à ma rencontre avec Pat, et sous l'insistance d'Anna, j'ai finalement envoyé quelques clichés de mon carnet. Elle m'a rappelé dans la foulée me proposant de passer la voir la semaine suivante et que si j'avais plus de planches à lui montrer, elle pourra en inclure quelques unes dans une future exposition.

Me voilà donc à essayer de nouvelles choses mais le cœur n'y est pas. Regroupant mes affaires et les rangeant dans mon sac, je m'apprête à partir en tournant le dos à l'océan lorsqu'un frisson me parcourt la peau. Je me retourne vers la mer, avec l'impression que ce qu'il y a face à moi est différent, sans savoir de quoi il s'agit. La brise marine est douce et toujours chargée d'embruns, sans odeur particulière autre que celle de l'iode. Les flots sont paisibles et clapotent sur les poteaux du ponton. Je m'avance un peu et m'arrête au niveau des premières planches du ponton, ne souhaitant pas aller plus loin alors qu'une partie de moi veut s'aventurer au-dessus de l'océan. Le plancher et la balustrade dessinent une ligne droite de chaque côté avant de s'arrêter plus loin, au milieu de l'eau.

Je sors à nouveau mes affaires et m'installe à même le sol pour reproduire cette image semblable à une invitation. Mes lignes ne sont pas droites, mais ma main reproduit rapidement et aussi fidèlement que possible ce que j'ai dans mon champ de vision. Une fois terminée le croquis terminé, je me sens fiévreuse, mais il dégage un quelque chose de différent par rapport à ce que j'ai produit aujourd'hui. Ou peut-être est-ce juste parce que j'y ai mis beaucoup d'énergie.

Je finis par rentrer, avec pour objectif de revenir le lendemain au même endroit.

Et j'y reviens, sans mes affaires. Face au ponton, je me sens déchirée de l'intérieur par un choix : rester sur la terre ferme ou m'avancer sur les planches de bois légèrement gondolées et vermoulus par l'action de l'océan. Une peur sourde bas dans mon cœur et s'étend jusqu'à une partie de mon cerveau. Je finis par faire quelques pas sur le bois, avançant au-dessus de l'eau qui clapote contre les piliers de bois. L'odeur iodée me paraît plus forte, ainsi que celle des algues, me ramenant plusieurs mois en arrière. Je ferme les yeux, une bourrasque me bouscule, mes pas continuant résolument à me porter vers l'avant.

Un cri me sort de ma transe. Ouvrant brusquement les yeux, je m'aperçois que je suis bien plus avancée que ce que je croyais. Fouillant la ville et les flots du regard, je ne vois personne. J'ai l'impression d'être seule au monde. La peur me submerge d'un seul coup et je me précipite pour retrouver le sol stable sous mes pieds, rentrant rapidement et sans me retourner. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais la même impression de danger m'est parvenue. La colère du Roi des mers est arrivée jusqu'ici, semblant se tourner entièrement sur moi. Je frissonne encore à mon arrivée chez les Clearwater. Portant une main à mon visage, je remarque des larmes que je ne sens même pas, dévaler mes joues. Je grimpe dans ma chambre pour que personne ne les voit et enfouie la tête dans mon oreiller.

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant