Chapitre 46 - Perte

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La silhouette de Cole se détache face à moi dans le contre-jour. J'augmente la cadence de mes foulées pour le rejoindre plus vite. Il me prend dans ses bras et dépose sur mes lèvres un baiser passionné qui me surprend. Plusieurs jours sans le voir, et j'ai l'impression d'avoir oublié de nombreux détails de lui. Nous parlons peu et profitons uniquement du fait d'être en présence l'un de l'autre, assis sur un banc face à l'océan, qui occupe tout notre champ de vision.

— Où est Soren ? demandé-je.

— Il fait le guet. C'est devenu compliqué de sortir de la Cité et je vais bientôt repartir.

Bien sûr, je sais tout ça, ce qui n'empêche pas mon cœur de se serrer à l'idée qu'il s'en aille à nouveau et d'être sans nouvelle pendant plusieurs jours.

Je me lève, époussetant de la poussière imaginaire de mon pantalon, pour l'inciter à partir et éviter qu'ils ne se fassent prendre. Mais aucun son ne sort de ma bouche. Comme la fois précédente, une odeur d'algues est apportée par une bourrasque. Cole se lève brusquement face à moi, en proie à une panique que je ne lui ai jamais vue. Dos à l'océan, je finis par me retourner et je vois alors plusieurs personnes s'avancer vers nous, Soren au premier rang, bousculé et mal en point, s'affalant au sol. Je m'apprête à me précipiter vers lui pour le soutenir mais Cole me retient par le bras. Ce n'est certainement pas une bonne idée de m'approcher d'individus armés et hostiles, malgré la détresse qui se dégage mon ami.

— Altesse. Vous devez venir avec nous immédiatement, annonce un homme de haute stature au crâne rasé. L'humaine vient aussi, crache-t-il.

Je me fige et je me retiens de lui répondre à la vue de la pointe de sa lance brillant d'un éclat sinistre dans la lumière matinale. En lançant un regard à Cole, je remarque sa mâchoire contractée et ses yeux qui luisent de colère. Il s'avance pour se placer entre eux et moi avant de demander :

— Pourquoi ?

Le garde lui lance un regard méprisant, comme face à un enfant capricieux.

— Ordre du Roi.

Ces trois mots résonnent comme une condamnation à mort à mes oreilles. Cole se tourne vers moi, un regard chargé d'excuses et de crainte. Il me prend la main et je vois bien qu'il ne veut pas que je les suive. Je lui serre doucement la main et hoche la tête. Je n'ai pas beaucoup d'options : soit je les suis de mon plein grès, soit ils useront de la force et je doute que leurs lances soient là pour faire office de décoration.

Je m'avance pour leur faire face et les yeux du garde glissent sur nos doigts entrelacés, chargés d'un dégoût non dissimulé. D'une pression de la main, Cole me transmet un peu de courage et nous marchons vers l'Océan. J'esquisse à peine un geste pour aider Soren à se lever que le bord tranchant des lances se retrouvent dans mon champ de vision. Sans un mot je me redresse et reprends la cadence imposée. Les pieds dans l'eau, Cole s'arrête et lance d'une voix assurée :

— Attendez. Si nous allons dans l'Océan, il faut l'enchanter.

Je le dévisage avant de me rappeler qu'avant de m'offrir son pendentif, il employait cette méthode pour que je puisse les accompagner. Les gardes nous lancent des regards de dégoût de plusieurs degrés, avec quelques « misérables créatures » et autres joyeusetés.

Cole se place en face de moi puis commence sa litanie et même si je sais que c'est du bidon, je ne peux m'empêcher d'écouter sa voix, qui me berce à l'instar des vagues et calme la panique qui monte en moi. Une fois terminé, les gardes nous forcent à nous séparer et nous nous immergeons dans l'Océan. Je doute que ce qui m'attend dans les profondeurs soit réjouissant.

La durée de notre plongée me semble à la fois interminable et écourtée. J'éprouve une grande difficulté à les suivre, et lorsque Cole me saisit la main pour m'aider à nager, les gardes qui nous encerclent me menacent de leurs lances. Malgré le fait que Cole insiste sur le fait qu'une nage pareille demande beaucoup d'énergie à une humaine et qu'eux ne veulent pas ralentir, les gardes refusent qu'il me touche. C'est finalement Soren qui attrape délicatement ma main pour m'entraîner derrière lui, me lançant au passage un regard désolé et douloureux.

Entre Terre et Mer (Terminé - premier jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant